Cette démocratie qui établit la dictature de la misère !
Bientôt, si la communauté internationale ne change pas d’avis, ils vont être à l’honneur ! Aussi la carte géographique ne sera plus autant squelettique. Des communes, des sections rurales et même des ravines vont retrouver leur place. La République de Port-au-Prince, loin d’être jalouse de cette anémie d’attention, s’en rit et s’en moque. Elle sait que c’est provisoire. Ce n’est que pour la période électorale. La période des promesses creuses basées sur l’ignorance, la candeur et surtout la misère. Oui, bientôt disions-nous, la population rurale va recevoir ses fils prodigues, leurs problèmes vont coloniser tous les discours avec une force inouïe. Des solutions, comme par magie, vont constituer les fonds d’écran de ces zones sans électricité, sans école, sans loisir, sans vie pour faire court. Mais qu’importe, elle a la démocratie, la liberté…
Liberté, ce mot cher aux Haïtiens. Ils en connaissent la valeur pour l’avoir payée au prix de leur sueur, leur chair et leur sang. Seulement comme des enfants trop émus de leur nouveau jouet, et trop empressés de l’utiliser, ils ne prennent jamais le temps de lire le manuel d’utilisation. Par de mauvaises manœuvres, le jouet se gâte et se casse…
A peine délivré des jougs infernaux de la dictature des Duvalier, le peuple haïtien s’est vu plonger dans un vaste océan de licence qui s’apparentait étrangement à l’idéal de la liberté en se demandant à peine s’il y avait suffisamment de sauveteurs qui pourraient l’aider à orienter sa barque vers le progrès et poser ses pieds sur un rivage plus sûr où il pourrait concevoir, planifier, construire et vivre. Profitant de cette frénésie collective où la raison avait baissé la garde, un homme dont l’appartenance et les prises de position inspiraient confiance, dans un élan de vengeance puérile et non contenue, a malencontreusement brûlé les ailes de cette démocratie naissante dont les balbutiements laissaient présager la plus fulgurante des évolutions.
Dans le champ de la démocratie, il a semé l’ivraie de la démagogie. A l’éducation, il a substitué l’alphabétisation. Des institutions publiques, il a fait un repaire de bandits. Sur le feu de la réconciliation nationale, il a versé le sable des rancœurs. Et du cœur des jeunes fragilisés par la pauvreté, il a brutalement, sauvagement enlevé le désir d’apprendre et la fierté de travailler, pour placer entre leurs mains des armes qui ont emporté des vies exemplaires que la nation pleure encore. Il n’est certes pas responsable de tous les maux du pays, mais il avait la chance unique et historique d’expliquer et d’instaurer la démocratie qui élève et ennoblit indépendamment des couches sociales. S’il avait instauré un système éducatif performant à une seule vitesse, tenant compte des besoins du pays, les masses populaires seraient mieux éclairées et au lieu des discours centrés sur leur personne, les candidats sentiraient l’exigence d’un bon programme électoral scientifiquement défendable. S’il avait renforcé l’économie paysanne, un vote aurait le poids du mérite et non celui d’un sac de riz. Et si au Parlement, il n’avait pas placé, par des élections frauduleuses, des invertébrés incapables de se tenir debout devant les injonctions de l’exécutif, la pourriture d’une seule orange n’aurait pas gagné tout le panier. Mais l’épidémie s’est répandue, les hommes-mollusques sont maintenant devenus majoritaires. Des trois pouvoirs qui devraient se contrebalancer, il n’en reste qu’un seul qui corrompt, dilapide, pille et mine les espoirs d’une jeunesse qui, pour la plupart, ne rêve que de s’envoler vers d’autres cieux où ils pensent pouvoir s’affirmer, se réaliser et accomplir leur légende personnelle. Voici donc comment du rêve de démocratie, nous sommes passés sous la dictature de la misère et de « l’idiocratie ».
Oui, cette « idiocratie » rebelle à l’apprentissage de l’histoire et qui n’ose évaluer la fragilité et l’illusion du pouvoir arrogant qui, toujours, promet fidélité, mais qui n’a jamais cessé de trahir même les plus grands tyrans. Que ceux dont la sagesse honore de sa parure se méfient du silence d’un peuple opprimé et bafoué. S’il est un désir inséparable de l’homme comme la lumière et la chaleur, c’est celui de vivre en toute dignité. Intelligenti pauca !
Dr Valéry Moise.
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