Ce que les mots taisent, les actes le disent !

6 décembre 2013

Ce que les mots taisent, les actes le disent !

Ils étaient deux. La misère a certes imprimé ses traits sur leurs visages mais n’a pas complètement réussi à leur faire passer pour des vieillards précoces. Ils avaient apparemment entre 12 à 14 ans d’âge. La lumière qui devait briller dans leurs yeux, se trouvait amoindrie et placée un peu plus bas entre des lèvres qui maintenaient une cigarette. Ils fumaient. Ce fut un dimanche près du marché se trouvant à l’entrée de Delmas 75.

Passant par là, je ne pouvais m’empêcher de m’arrêter, les regarder, incapable d’articuler un mot, puis je suis reparti. Plus seul, mais avec cette image qui habite désormais ma mémoire. Savaient-il que  la couleur de la cendre prédisait celle de leur poumon dans un avenir proche ? Comprenaient-ils que leurs rêves s’envolaient à la cadence des fumées qu’ils exhalent ? Ils brûlaient leurs vies et moi je fumais de colère à l’idée qu’ils sont l’avenir du pays.

Nous sommes un pays singulier. Nulle part ailleurs, il ne serait permis à des gamins de pouvoir non seulement acheter mais encore consommer, avec une quiétude qui déroute la raison, des produits nocifs qui nuisent gravement à leur santé. Ont-ils des parents ? Probablement pas, peut-être des géniteurs encore vivants qui croissent et multiplient la terre de façon accidentelle. La famille semble être une espèce en voie de disparition. Comparable à l’atome  duquel on soustrait un ou plusieurs électrons, elle devient instable comme un ion et s’unit à n’importe qui, n’importe quoi. L’autorité parentale s’effrite avec la faiblesse du pouvoir économique. Le capitalisme a pris l’église d’assauts, on y fait plus de quêtes que de prières, plus de médisances que d’exhortations et la chair dispose de la force de l’esprit comme un cheval maîtrisant son cavalier. L’Etat qui devrait être le dernier rempart, souffre d’une anémie sévère de modèles. Ces actes abominables parlent plus forts que ces mots moralisateurs. A la balance de l’exemple, il s’est révélé trop léger, et la société la vomit avec tout le dégoût dont elle est capable.

Ses problèmes sont complexes. La trop grande fertilité de nos familles semble battre en brèche sa capacité à émettre des actes de naissance. La population se trouve donc divisée en deux catégories : Enregistrée et non enregistrée. Énormément d’enfants sont nés en marge de l’administration de l’Etat et ils y demeurent jusqu’à l’atteinte de la majorité électorale. D’ici-là, ils sont partout sauf à la place qui convient à des enfants dont on reconnait les Droits à la santé, à l’éducation, au bien-être social voire à la vie tout court. Quand ils ne sont pas dans la rue pour initier leurs âmes à l’injustice sociale, ils sont pour la plupart dans ces banques d’organes déguisées en fondation. Quand ils ne sont pas dans ces « écoles » qui comptent plus de cuisiniers que d’enseignants, ils sont à la merci des prédateurs sexuels qui leur font confondre vessie et lanterne. Puis viendra le temps où les têtes qui n’ont jamais pensé leur reprocheront et même les condamneront d’avoir laissé germer les graines qui ont été semées. Aucun compte ne sera tenu de la violence structurelle et institutionnelle dans laquelle ils ont grandi et évolué.

Moi, quand je regarde un enfant des rues briser une vitre, je vois une promesse électorale non tenue, quand je regarde un enfant sans idéal, je vois un gouvernement sans vision, quand je regarde un enfant manquer de respect à une loi établie, je vois de policiers et officiels circuler en sens inverse, quand je regarde un enfant essuyer une voiture aux heures de classe, je vois une société touchant le fond de l’abîme. Rendez-moi fou ou sage, je verrai toujours à travers les enfants l’image des adultes.

On reconnait, évidemment, qu’ici il n’est question que de ceux qui vivent dans des conditions d’extrême vulnérabilité, ceux dont le poids du corps ne dépasse pas la capacité des ailes. Ceux à qui le manque d’éducation et l’absence de politique éclairée ravissent le rêve de partager le rang des Einstein, Eddison, et le plus fameux de tous : Mandela.

Ceux qu’on tenterait d’appeler les fumiers par rapport à leurs actes répréhensibles. Pourtant, faut-il bien avoir le courage d’admettre que ces fumiers sont créés par des déchets adultes et qu’il est encore possible d’y faire pousser les meilleures roses de l’Ayiti-Quisqueya qui doit revenir.

 

Dr Valéry Moise

                                                                                    lyvera7@yahoo.fr

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Commentaires

Marc Dorcin
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Très bel article comme toujours. Kenbe la!

Valéry Moise
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Merci mon frère Dorcin!

Vilus Emmanuella
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Tu as si bien dit.
C'est déplorable de voir que les choses vont de mal en pire et qu'on fait rien pour y remédier.
"L 'éducation fait la force d'un peuple", il devrait le savoir.

Valéry Moise
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Ne perds pas courage Emmanuella, des forces positives se réveillent!

Souvenire Clerveau
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Ce sont des paroles sacrees. Bravo Dr!

Valéry Moise
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Merci Souvenire!

Frandley Julien
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Tu t'es surpasse mom ami. Merci de mettre ton elegant verbe, tes substantielles analyse au service d'un reveil national qui se fait trop attendre. Je te promets une reponse a ce texte avant la fin de l'annee.

Valéry Moise
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Merci mon ami pour les compliments! Je t'attends donc impatiemment!

Frantz Jean
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Encore une bombe,une plume dans la plaie
Felicitations a toi frero!

Valéry Moise
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Merci mon frère Frantz!

Abdoulaye Bah
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Félicitations Dr. Valéry MOISE. C'est un très beau billet bien que traitant de problèmes pénibles.

Je vais en proposer un extrait à mon réseau: https://fr.globalvoicesonline.org/author/abdoulaye-bah/

Valéry Moise
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Merci M.Abdoulaye Bah! Tout l'honneur est pour moi! Sentez vous libre de le partager comme vous voulez, c'est une problématique qui doit être soulevée un peu plus souvent.

Abdoulaye Bah
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Malheureusement, les citoyens de nombreux pays s'y reconnaissent. Sur Facebook, lorsque j'ai demandé à quel pays vous faisiez référence, tous m'ont répondu que vous parliez de la Guinée ou d'un autre apys africain.

Valéry Moise
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Oui, malheureusement certains problèmes fondamentaux défient l’éloignement géographique, c'est pour cela que le réveil doit être mondial et universel.

Abdoulaye Bah
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Voici le lien de la partie que j'ai citée:https://fr.globalvoicesonline.org/2013/12/08/158184/

Abdoulaye Bah
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Voici le lien pour la traduction en anglais de la partie que j'ai citée:
https://globalvoicesonline.org/2013/12/08/what-the-situation-of-street-children-in-port-au-prince-is-telling-a-haitian-citizen/

Maintenant que cette traduction est disponible, il se pourrait qu'elle soit reprise et traduite dans d'autres langues de la trentaine que nous utilisons sur notre réseau. Depuis le retrait de la citoyenneté dominicaine à des centaines de milliers de haïtiens, sous le prétexte qu'ils sont descendants de sans-papiers, arrivés dans ce pays depuis 1929.

Valéry Moise
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Merci encore une fois M. Abdoulaye de votre aide! Nous reconnaissons votre travail de propagation de notre cri à sa juste valeur! Souhaitons que les oreilles autorisées nous entendent et nous accompagnent dans ce travail visant la promotion et la défense des Droits des enfants!

Ben Jo
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Salut Docteur. Je suis connecte depuis Abilene, Texas. Une amie a poste ce texte sur son facebook, et j'ai decide de le lire parce que le titre me paraissait interessant. Apres l'avoir lu, j'etais comme ... wow!!! Je vous felicite Dr. Moise. Vraiment ca me ravive l'espoir d'une Haiti meilleure de savoir qu'il y a des jeunes qui pensent et voient les choses du bon cote. Je suis desole de le dire, mais j'espere que nos journalistes en Haiti ecrivaient de pareils textes, plutot que de s'adonner a des ecrits partisans. Merci Docteur. Keep up the good work. Haiti a grand besoin des gens de votre trempe. Que DIEU vous benisse!!!

Valéry Moise
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Salut Ben! Merci de votre commentaire très émouvant, il respire la sincérité. Aussi dois-je avouer ma joie de voir que même en dehors du pays vous vous intéressez encore à sa relève. Je connais votre nostalgie, votre colère et parfois votre désespoir de voir un autre pays plus digne de son histoire. Heureusement que la roue commence à tourner. De plus en plus de voix compétentes et dévouées s’élèvent pour crier gare! Dieu aidant, nous renaîtrons de notre cendre! Tchenbe rèd, pa moli. Ke Bondje beni w frè m!