La colonisation dont Haïti devra se défaire
Haïti est un pays de paradoxes. Le seul à n’avoir pas attendu d’être pubère pour enfanter la liberté des nègres. Quand le Noir était animal inférieur, le travail synonyme de corvée, l’oisif moissonneur, il était le porte-étendard du respect de la dignité humaine indépendamment de sa variété raciale. Mais 210 ans plus tard, nous sommes obligés d’admettre que nos lauriers contenaient le germe d’un poison mortel : l’exceptionnalisme.
Ce mode de pensée qui veut croire que l’Haïtien est un être exceptionnel. N’en déplaise à beaucoup, nous ne le sommes pas ! On n’est pas exceptionnel parce que des ancêtres ont accompli des prouesses extraordinaires. Tout peuple, indépendamment de son histoire, de son origine et de la richesse naturelle de son territoire, est soumis aux mêmes exigences de l’éducation, du travail et de la justice pour accéder aux sommets du progrès collectif. Et comme disait notre éminent Anténor Firmin, chaque être a ici-bas des conditions en dehors desquelles il lui est incapable d’accomplir sa destinée. Pendant longtemps nous nous sommes leurrés. Nous nous sommes posés en exception de toutes les règles pourtant immuables et intemporelles.
Nous avons choisi la trahison et l’individualisme quand l’union faisait notre force, nous avons célébré l’obscurantisme quand la lumière nous montrait la voie de la gloire. Pendant longtemps et aujourd’hui encore nous engageons des aveugles comme guide infaillible. Nous ouvrons nos portes à la démocratie, mais nous fermons nos esprits aux débats contradictoires. La démocratie n’est pas un slogan. Elle comporte un ensemble d’exigences et de privilèges incompatibles avec l’inculture et l’intolérance. C’est de cette ultime colonisation dont Haïti a besoin de se défaire. On n’élève pas les trônes d’une nation solide sur l’éducation abrégée et le fanatisme.
Haïti a besoin d’honorer la voix de la compétence et de la scientificité. Le peuple doit s’efforcer de s’élever à ce niveau où est nette la distinction entre le progrès virtuel et réel, le souhait et le fait, l’image et la réalité. Trop longtemps nous nous sommes servis de l’aune du pire. Entre le pire et le mauvais, nous devons arrêter de choisir et exiger le bon à défaut du meilleur. Car comme disait Lévi : « La nature porte les imparfaits à s’entre-déchirer et la guerre est le résultat équilibrant de l’égoïsme féroce des amours des hommes et des nations ». Changeons le mal bien, élevons le bien au mieux !
Dr Valéry Moise
Email : lyvera7@yahoo.fr
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