L’énigme du départ

Article : L’énigme du départ
Crédit:
3 décembre 2015

L’énigme du départ

Départ- Immigration
Crédit Photo: Patrick Marione

Avancer dans la stabilité n’est pas le propre de tous. Naître en certains endroits expose à l’éventualité du départ, du déracinement. Non par fantaisie mais par souci de survie. Souci de plonger ses racines dans un sol plus stable, plus riche et donc susceptible d’offrir une sève plus élaborée, un arbre plus en santé, plus utile, plus apprécié. Notons qu’ici ‘’plus apprécié’’ répond davantage à la logique qu’à la réalité. Ce n’est point parce qu’une plante est exotique qu’elle est forcément admirée. Trêve d’images, revenons à l’objet.

Les réalités historiques, géographiques, politiques et sociales se combinent parfois pour pousser l’homme à la perspective du départ. Départ d’une communauté à une autre, d’un département à un autre, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre et même d’une vie à une autre. D’une vie où il passe de l’Etranger à l’Etrange, de l’Humain à l’Immigré. Car, depuis que les artisans de la terreur ont passé à l’offensive, depuis que la peur est le sentiment le plus partagé, depuis que l’unité exclut la diversité, depuis qu’il représente une menace potentielle face à l’emploi, une menace abominable face à la pureté des races, l’immigré n’a cessé d’être déchu de son humanité. Une humanité que sa communauté d’origine ne lui a pas reconnue et dont certaine (s) terre(s) d’accueil lui refusent la jouissance.

Parler de terre d’accueil évoque inéluctablement l’idée de frontière, d’exil, de séparation ou d’amputation. Et à considérer la grogne des jeunes professionnels haïtiens, la persistance de la crise politique, l’échec de la relève économique et le déchirement social, je crains qu’Haïti ne soit l’objet d’un vaste exercice d’amputation. Amputation du rêve des rêveurs, de l’engagement des engagés, de l’espoir des espérés et, pire, de la citoyenneté des citoyens. Haïti est à ce carrefour décisif où il saigne à blanc et qu’il lui faut du sang frais. 54 potentiels donneurs se sont présentés et se sont tous révélés incompatibles. Jamais, la jeunesse haïtienne n’a été livrée à des perspectives si controversées !nt

L’idée du départ est persistante, pesante chez certains, préoccupante chez la plupart et use la force des résistants. J’avoue que cette lutte ne m’est pas étrangère. Elle fait mon quotidien. Elle m’appartient et m’étreint. J’envisage aussi de partir. Partir sans crainte d’affronter le regard hostile, suspicieux, réprobateur, condescendant. Partir pour pouvoir enfin jouir des services pour lesquels je contribue. Partir pour garantir une meilleure instruction à mes enfants. Mais, à l’objection de ma conscience, je ne partirai pas. Du moins d’un espace à un autre. Je franchirai, par contre, quelques frontières. Du leadership des mots, je passerai au leadership des actes ; de la critique désengagée, je prêcherai par l’exemple ; de l’attitude attentiste, je passerai à la proactivité ; de ceux qui comptent, je passerai au rang de ceux sur qui l’on peut compter.

Dr Valéry MOISE, lyvera7@yahoo.fr

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Elsa Kane Njiale
Répondre

Je crois que c'est uen question existentielle qui taraude nombre d'entre nous quelque soit la couleur de peau ou du continent. L'envie de partir s'exprime de differente manière, il y a ceux qui veulent partir de la maison, de leur quartier, de leur ville, de leur pays. L'homme nest peut être finalement qu'un oiseau voyageur. Aimé Cesaire resume bien cette envie "Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays".

Valéry Moise
Répondre

Tout à fait d'accord avec toi.

Gilbert LOWOSSOU
Répondre

Très belle réflexion

Valéry Moise
Répondre

Merci Gilbert.

Meschac G.
Répondre

A ce stade en Haiti, il y a que les braves et les résignés qui decident d'affronter la réalité du départ... Aussi dirait-on, il y a que des braves et des résignés qui dans la logique d'une vie meilleure (personnelle et/ou professionnelle) se sont obligés de réster en dehors de leur terre de confort et faire face à un constant sentiment d'apatride et d'assimilation... On ne peut juger ni justifier mais doit un accepter d'une manière ou d'une autre l'espace de vie est de plus en plus réduit au fait de technologie, globalisation mais aussi de l'émergence des mouvements de citoyenneté mondiale. - Au final, Il est question de faire un choix difficile que facile et ce qui est certain c'est que la génération à venir pour adresser les maux du pays doit s'unir et apprécier la valeur ajoutée de tous les enfants d'Haiti qu'ils soient restés ou déplacés. Bonnes réflexions et surtout bon courage, Valéry!