Valéry Moise

La colonisation dont Haïti devra se défaire

Haïti est un pays de paradoxes. Le seul à n’avoir pas attendu d’être pubère pour enfanter la liberté des nègres. Quand le Noir était animal inférieur, le travail synonyme de corvée, l’oisif moissonneur, il était le porte-étendard du respect de la dignité humaine indépendamment de sa variété raciale. Mais 210 ans plus tard, nous sommes obligés d’admettre que nos lauriers contenaient le germe d’un poison mortel : l’exceptionnalisme.

Ce mode de pensée qui veut croire que l’Haïtien est un être exceptionnel. N’en déplaise à beaucoup, nous ne le sommes pas ! On n’est pas exceptionnel parce que des ancêtres ont accompli des prouesses extraordinaires. Tout peuple, indépendamment de son histoire, de son origine et de la richesse naturelle de son territoire, est soumis aux mêmes exigences de l’éducation, du travail et de la justice pour accéder aux sommets du progrès collectif. Et comme disait notre éminent Anténor Firmin, chaque être a ici-bas des conditions en dehors desquelles il lui est incapable d’accomplir sa destinée. Pendant longtemps nous nous sommes leurrés. Nous nous sommes posés en exception de toutes les règles pourtant immuables et intemporelles.

Nous avons choisi la trahison et l’individualisme quand l’union faisait notre force, nous avons célébré l’obscurantisme quand la lumière nous montrait la voie de la gloire. Pendant longtemps et aujourd’hui encore nous engageons des aveugles comme guide infaillible. Nous ouvrons nos portes à la démocratie, mais nous fermons nos esprits aux débats contradictoires. La démocratie n’est pas un slogan. Elle comporte un ensemble d’exigences et de privilèges incompatibles avec l’inculture et l’intolérance. C’est de cette ultime colonisation dont Haïti a besoin de se défaire. On n’élève pas les trônes d’une nation solide sur l’éducation abrégée et le fanatisme.

Haïti a besoin d’honorer la voix de la compétence et de la scientificité.  Le peuple doit s’efforcer de s’élever à ce niveau où est nette la distinction entre le progrès virtuel et réel, le souhait et le fait, l’image et la réalité. Trop longtemps nous nous sommes servis de l’aune du pire. Entre le pire et le mauvais, nous devons arrêter de choisir et exiger le bon à défaut du meilleur. Car comme disait Lévi : « La nature porte les imparfaits à s’entre-déchirer et la guerre est le résultat équilibrant de l’égoïsme féroce des amours des hommes et des nations ». Changeons le mal bien, élevons le bien au mieux !

Dr Valéry Moise

Email : lyvera7@yahoo.fr


Quand la jeunesse donne de l’élan à l’espoir…

Ils étaient venus de partout. Ce matin du samedi 15 novembre était pour beaucoup un pas en dehors de la zone de confort, un bond dans l’inconnu et une aventure dont seul l’égrènement des heures allait permettre de définir. Leurs points communs étaient la jeunesse et la volonté d’engager des discussions autour de quatre thèmes : Education, Environnement, Entrepreneuriat et Coopération Internationale. Cet appel au rassemblement et à l’engagement était parti du groupe Echo-Haïti, une organisation de jeunes  à but non lucratif qui a osé défier l’utopie en lançant le projet Elan-Haïti. Un projet singulier dans sa démarche, son approche, sa vision et sa mise en œuvre. Elan-Haïti est d’abord cette capacité de reconnaitre le mérite des autres et de le mettre en valeur. Il est ensuite ce remède aux paroles et promesses oiseuses qui caractérisent notre temps. Il est un point d’intersection entre la volonté exprimée et l’action engagée. On me pardonnera de célébrer la victoire avant la fin de la guerre, mais, après tout ce que je viens de vivre du 15 au 18 novembre dans le cadre de ce symposium international, je suis en droit de vanter le fruit déjà  présent dans la fleur.

Crédit photo: Elan Haiti 2014
Crédit photo: Elan Haiti 2014 : Panel sur la Coopération Internationale

De tous les remparts contre le désespoir en Haïti, il n’y a qu’un seul qui tienne encore : La jeunesse. Cette jeunesse qui refuse la facilité, cette jeunesse sourde au découragement, cette jeunesse qui se renforce à chaque chute, cette jeunesse qui n’est pas majoritaire mais qui s’implique, se responsabilise. La fin du symposium a vu l’accouchement de 4 projets qui constituent le ciment qui empêchera la dispersion de cette énergie dont la jeunesse présente a fait preuve. C’est aussi l’occasion pour moi de remercier tous nos frères et sœurs étrangers qui ont bravé les interdits et la conspiration anti-haïtienne pour venir prendre part à cet évènement. Notre hospitalité leur est garantie à jamais. Dans le petit village qu’est devenu le monde, le bien-être, la paix, la prospérité, l’humanisme, l’entraide, la tolérance doivent devenir un leitmotiv commun. Que Dieu renforce la jeunesse et bénisse Ayiti !   Dr Valéry MOISE lyvera7@yahoo.fr


À l’écoute des étoiles…

Il était loin de se douter que le décor était planté pour ce dialogue silencieux où le mot quel qu’il soit aurait été de trop. Seul, à la faveur d’une de ces coupures d’électricité un peu trop familières, il scrutait l’horizon. En quête de perspectives, de réponses et de paix. Pour rendre hommage à la vérité, les fardeaux de son pays et de sa génération pesaient particulièrement lourd, ce soir-là, sur son esprit de citoyen conscient et engagé. Il se demandait pourquoi !

Pourquoi sa terre tardait à faire renaître un Henry Christophe, un Anténor Firmin, un Charlemagne Péralte, un Rosalvo Bobo, un Emile St-Lot ? Pourquoi, malgré les multiples répétitions, son peuple ne parvient pas encore à assimiler l’essence de sa devise l’union fait la force ?  Pourquoi, malgré ses richesses, occultées et officiellement admises, Ayiti ne refuse d’être une terre d’honnêtes opportunités pour ses fils ? Pourquoi la plupart des Haïtiens ne brillent qu’à l’extérieur ? Pourquoi la sphère politique, domaine préalablement si noble et si important, est-elle devenue un repère de bandits, de scélérats, d’apatrides qui ne respirent qu’individualisme et corruption ? A peine allait-il être submergé par les flots du désespoir que ses yeux, on ne sait par quelle magie, ont été portés vers le ciel.

Dans un silence audible par lui seul, s’entama alors un monologue étrange. Un monologue qui semblait venir à la fois des étoiles et des entrailles de la Terre. Il était question d’espoir, de courage, de patience et de persévérance. Il disait que tous les grands progrès sont les œuvres d’humains laborieux qui ont osé rêver et défier le doute. Il y était reconnu que les nations développées n’étaient pas tombées du ciel, et qu’elles aussi ont eu leurs périodes de tâtonnement dans les ténèbres, jusqu’à ce que des citoyens conscients aient fait briller la Grande Lumière cachée au fond d’eux-mêmes. C’était un monologue étrange où il était aussi question d’aveux. Aveu qu’Haïti n’est pas un territoire maudit des dieux, mais un pays habité par des individus irresponsables, réfractaires à la raison et l’engagement citoyen, qui ne font pas honneur à leurs illustres ancêtres. À ceux-là qui avaient rétabli la dignité humaine de toute une race que des exécrables avaient choisie pour être des parias, des bêtes de somme. À ceux-là qui sont sortis des gouffres de l’inhumanité pour se dresser face au soleil.

Ce témoignage était trop beau. Il avait besoin de fermer ses paupières pour contempler de l’intérieur le parcours épique de ceux auxquels il succède de plusieurs générations. C’est alors que l’étoile la plus brillante, pour porter au comble son émotion, avoue, un peu gênée,  qu’elle était jalouse de tant de prouesses.

Reconnaissant et perplexe, le jeune professionnel se leva avec la détermination d’améliorer tout ce qui est soumis à son pouvoir, ne serait-ce que sa vision du monde et de son pays. Une fois debout, comme une invitation à l’action, comme une révolte face au désespoir, cette phrase de son ami Eliphas Lévi, s’imposa en maître absolu à son esprit : Dieu donne à chacun dans cette vie un animal à dompter. Les plus favorisés sont ceux qui luttent contre un lion : quelle gloire auront ceux qui n’auront eu à dompter qu’un agneau ?”.

 

Dr Valéry MOISE

lyvera7@yahoo.fr


Pourvu que cette dictature ne touche pas au sexe !

Il arrive toujours ce moment où la sécurité de sa bulle devient étouffante. Ce moment où un pas dans le vide apparaît comme acte de raison. Ainsi, laisse-t-on sa zone de confort pour aller vers l’autre, lui tendre la main, regarder à travers ses lunettes et accorder une oreille attentive à son histoire.

Alors on se rend compte qu’il n’y a qu’une façon d’embrasser la réalité dans sa globalité et qu’un moyen de modifier le destin : le dialogue intéressé.

Si le mot est facile d’utilisation, sa mise en œuvre ne s’inscrit pas dans la même veine. Dialoguer présuppose un minimum de cultures, de méthodes et de capacité d’élaboration de sa pensée. Voilà l’un des talons d’Achille de la génération à laquelle j’appartiens.

Depuis que certains journaleux et politiciens m’amènent à douter de notre appartenance à la même espèce qu’un Henry Christophe, un Steeve Jobs, un Einstein, un Kagame pour ne citer que ceux-là, j’ai arrêté de prendre ma dose quotidienne de « nouvelles ». La frontière était devenue trop mince entre l’information, la propagande, l’incontinence verbale et la promotion de la médiocratie.

Mais à la faveur de la dictature annoncée et programmée pour le mois de janvier 2015, il m’a paru important de surseoir à mon autocensure et de rencontrer quelques jeunes dans la perspective de recueillir leurs avis.

Je supposais déjà, vu l’accueil triomphal indéfectiblement accordé aux trivialités, qu’une tranche trop importante de notre jeunesse ne s’adonnerait qu’aux banalités. Mais je voulais quand même mettre en doute l’évidence et évaluer combien nous sommes vraiment réfractaires à la science, à la décence, au patriotisme et à l’engagement citoyen. La réponse a été sans équivoque : « Que le pays crève, que la dictature revienne, pourvu qu’on ne touche pas à notre libertinage et nos comportements sexuels dangereux et irresponsables ! »

Ce n’est pas le mal-développement qui détruit les peuples mais l’absence de mémoire collective et la fracture générationnelle. C’est à tort qu’on assimile le jeune âge à l’effervescence pulsionnelle. Dans un pays dévasté comme le nôtre, la jeunesse devrait être  cette catégorie qui ne s’autorise ni désespoir ni répit. Nous ne devons pas nous permettre le suicidaire loisir de ne mobiliser que nos hanches. Aussi devons-nous nous arrêter de nous emballer dans des niaiseries dignes des périodes obscures de la préhistoire. L’Internet est source de richesses et de connaissances, nous gagnerons davantage à y effectuer des recherches et de créer des réseautages utiles plutôt que de rendre célèbres des cancres heureux et de partager des photos et vidéos pornographiques.

Le chaos est à nos portes. Nos destructeurs sont à l’œuvre. Ils ont besoin que nous nous confondons à la nullité pour exécuter leurs sales besognes et assouvir leurs bas instincts. Aujourd’hui, je lance un appel solennel à la frange encore récupérable de la jeunesse. Dépassons les individualités, réunissons-nous, soyons enrichis de nos différences, convergeons nos forces, proposons un plan, et travaillons à sa réalisation comme si nous étions immortels ! Soyons les dignes défenseurs de la liberté et de la dignité humaine ! Et rappelons-nous que la terre est sans cesse mouvante autour de la fosse qu’on creuse pour enterrer la liberté, les fossoyeurs y tombent toujours !

 

Dr Valéry MOISE

Email : lyvera7@yahoo.fr

 


À ceux qui pleurent…

Les lignes qui vont suivre n’ont pas la prétention de s’aligner suivant les fils d’un mouchoir. Pas plus qu’elles ne prétendent pouvoir réussir l’ablation des glandes lacrymales. Elles auront peut-être le mérite de susciter  des regards nouveaux ou mieux d’établir la relativité de ce qui nous déçoit, nous déroute, nous dérange, nous blesse, nous bouscule, nous ronge et, au pire des cas,  nous tue ! Aussi, sentirions-nous utile de savoir qu’elles ont au moins servi de socle aux têtes et aux cœurs favoris des épreuves de la vie auxquels il manquait un peu de repos.

Il est de plus en plus reconnu qu’une échelle de douleur n’a pas la valeur d’un thermomètre. La perception de la douleur varie donc d’un individu à l’autre. Ce qui explique qu’une piqûre de moustique chez l’un suscite les réactions propres à une frappe nucléaire chez l’autre. Mais toute relativité mise à part, il demeure que la mort, la maladie, la séparation, la décadence appellent une émotivité tendant vers l’universel et qui se manifeste le plus souvent par la tristesse et les larmes.

Certains prétendent que la tristesse est souvent l’expression visible d’une peur dissimulée et parfois même inconsciente. Un des promoteurs du pouvoir de l’instant présent, Eckhart Tolle, assimile la peur à une identification au Mental donc au Moi. Mais qu’importe le courant philosophique ou spirituel auquel l’on s’identifie, nous pensons qu’il est valable de considérer la tristesse comme un amenuisement de la foi ponctuelle ou un défaut d’appréciation d’une perspective qui nous dépasse. Nous voulons croire qu’en dépit des contradictions apparentes, le mécanisme de la vie est réglé suivant une logique d’évolution et de perfection. Une intentionnalité harmonisante s’assure de l’importance de l’infime comme de l’infini. L’océan a besoin de la goutte comme la fourmi a besoin de la terre. Et la vie ne remet ses clés de bonheur qu’à ceux qui la voient comme un mouvement d’alternance, d’interdépendance et de confiance.

Les difficultés, même dans leurs pires aspects, ne peuvent avoir le dessus que quand nous cessons de les voir comme des occasions de développer nos ailes, et surtout comme un feu devant permettre à notre or de briller de tout son éclat.

Essayons de changer de perspectives. Suivons la barque à la nage et arrêtons d’opposer la mort à la vie, de réduire l’amour au désir de possession, de substituer passé et futur au présent. Ainsi, osons-nous croire, que le cercueil de la chenille deviendra le berceau du papillon, les affres de la séparation deviendront les ailes de la libération. Il nous semble qu’on nous prend nos bras lorsqu’on nous ôte nos béquilles, mais rappelons-nous que nous sommes les fils de l’Univers et les projets qui sont formés sur nous, sont des projets de Paix et non de malheur.

L’âme n’éteint jamais sa sublime clarté,

Et lorsqu’au changement nature la convie,

Ce n’est jamais la mort, c’est un pas dans la vie,

C’est un progrès de plus dans l’immortalité. (Eliphas Levi)

 

Dr Valéry Moise

lyvera7@yahoo.fr


Soyez parents si c’est votre métier !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le monde semble être imperturbable dans sa marche vers la consécration du négligeable et la banalisation de l’essentiel. Là des enfants sont gazés, peu de voix s’élèvent, ici l’anniversaire de naissance de l’héritier d’un certain trône suffit à mobiliser l’énergie de mille volcans. La mode épouse l’indécence, la cacophonie détrône la symphonie et les écrans remplacent les visages. Dans cet univers tumultueux où les belligérants partent sans cesse à la chasse des rares îlots de paix, les maladies livrent une concurrence farouche aux meilleures avancées scientifiques. Elles deviennent foudroyantes et rapidement envahissantes. Par rapport à ces tristes constats, nombreuses sont les questions adressées mais peu d’interlocuteurs s’arrêtent. La conjugaison est bloquée à la première personne du singulier : Je.

Je ne suis pour rien dans l’injustice qui ronge le monde, je n’ai pas déclenché ces guerres qui fauchent des enfants en plein terrain de jeu, je suis loin de l’Ebola, j’ai aussi mon lot pour faire bref.

On cherche dans les conséquences la solution aux causes. On dilapide des fonds colossaux pour passer des heures dans des réunions où tout ce que l’on parvient à faire est de remplacer un mot par un autre pensant par là changer la dure réalité des populations. Je vous le dis en vérité, tant qu’on ne reviendra pas à l’unité fonctionnelle de toute société, tant qu’on ne revalorisera pas l’équilibre familial, tant qu’on ne pèsera  suffisamment pas la portée du mot « Parents », on va continuer à se foutre le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

J’accuse la famille désintégrée et la religion fanatique. J’accuse les géniteurs irresponsables et les prédicateurs imposant le salut de leur Dieu à coup de baïonnettes et de bombes. J’accuse l’école qui crée des gagnants qu’on glorifie au détriment des perdants qu’on détruit au lieu de les réhabiliter.

Je le répéterai jusqu’à ce qu’on l’intègre : « Les premières années durent toute la vie ». Le changement prôné ne sera accouché ni des sommets, ni des conventions, ni des résolutions stériles des pompeuses organisations internationales mais par la révision et l’amélioration de l’éducation de nos enfants. Le roi Salomon, dans un magnifique élan de sagesse, l’avait dit et je cite : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas ».

Apprenez à l’enfant que la violence n’est jamais justifiée, que la différence est la norme, que toute vérité est relative, que l’intolérance est criminelle, que les biens matériels sont illusoires et éphémères, que toute vie est sacrée, et que le bien-être réside dans l’équilibre et le mouvement.

Être parent doit devenir un métier et un droit dont seul l’accomplissement des devoirs permet la jouissance. Il est destructeur de confier à un mal voyant qui tourne son voile suivant le vent du quotidien, le destin d’une âme dont l’énergie est bouillonnante et pas suffisamment canalisée. Par contre, on doit évidemment reconnaître que des politiques font tout ce qui est leur pouvoir pour garantir l’usage des prisons. Quand ils augmentent les heures de travail et diminuent parallèlement les salaires, ils volent aux enfants le temps d’un échange fructueux avec leurs parents, ils substituent l’influence néfaste des gangs prédateurs aux conseils familiaux et contribuent à l’alimentation des comportements marginaux subséquents à des épisodes chroniques de dépression.

À l’heure où l’Internet amenuise de plus en plus les frontières, la procréation doit être plus que l’expression de deux cœurs qui s’emballent, pour intégrer l’union de deux têtes qui pensent et de deux épaules qui se soudent pour planifier et exécuter un projet d’éducation tenant compte de tous les enjeux du monde et de toute la complicité de cette tâche. Soyez parents si c’est votre métier !

Dr Valéry Moise

lyvera7@yahoo.fr


Pour rappeler à la Digicel que l’enfer haïtien regorge de dieux déchus

Si le succès fulgurant était bon pédagogue et la mémoire fidèle, je ne serais pas en train de rendre ce service gratuit à la Digicel. Après avoir eu le grand mérite d’introduire la téléphonie mobile en Haïti, la Haitel, compagnie maintenant défunte, avait la maladresse de mordre à l’hameçon du capitalisme anthropophage. Au lieu de démocratiser cette facilité de communication, elle avait préféré offrir aux riches et aux arrogants rescapés de la pauvreté, le loisir de nourrir plus de vaine prétention en tenant un cellulaire. Vendu aux pris d’or à ce moment là. Et comme pour porter un toast à l’injustice et à l’abus, les appels entrants et sortants étaient également payés. C’était le coût du privilège de pouvoir accrocher à sa ceinture un petit appareil qui clignote! On se sentait élégant. L’ivresse de cette hypothétique élégance avait longtemps gardé les utilisateurs inconscients du manque de couverture du réseau et de la cherté du « service ». La bêtise se faisant contagieuse et le mal attrayant, Comcel et par la suite Voila se sont vite mises de la partie pour continuer à « plumer » la poule qui mettait une pointe de fierté paradoxale dans le fait de ne pas crier.

C’est dans cette atmosphère lourde en frustrations non exprimées et en espoirs inavoués que le pavillon rouge sang de la Digicel apparut au peuple haïtien comme l’étendard de la victoire. L’illusion avait pourtant quelques éléments d’objectivité. Le prix des appareils mobiles avaient drastiquement chuté, la couverture élargie comme jamais auparavant, le coût des appels entrants annulés, créations d’emplois en masse, salaires plus raisonnables par rapport aux autres operateurs et mieux encore la démocratisation de la téléphonie mobile. On ne demandait pas mieux. Des deux côtés les attentes ont été comblées au-delà des espérances. Le peuple avait son service à bon prix, et la Digicel sa grande part de marché et la reconnaissance d’un peuple longtemps maintenu dans la médiocrité des services. Consciente de cet état euphorique où toutes les gardes sont baissées, la Digicel en a profité pour infiltrer tous les espaces vides, coloniser les pouvoirs et finalement engloutir les piètres compétiteurs mais compétiteurs quand même. Et fidele à sa vocation, la foule sans âme a acclamé. Vive la Digicel, vengeresse des bourreaux de nos bourses.

Ces cris ont eu leurs effets. La Digicel ne s’est fait pas longtemps prier. Elle a étendu ses tentacules. Elle est maintenant partout. Sport, internet, éducation, marché public, activités festives et sournoisement la politique puisque voie royale de communication du Président. Toutes les conditions de l’impérialisme commercial sont réunies. Trêve de convenance. La comédie a assez duré. L’appétit du gain à tout prix ne saurait être bridé. La Digicel laisse tomber son masque et sort ses griffes. Facturation sans appels  émis, bombardement de publicités, que dis-je de propagande, retard de livraison de messages, réduction de la marge du maigre profit des vendeurs de « pappadap », service à la clientèle injoignable sans frais et récemment vol d’argent pur et simple. Pour l’abonnement internet payé au prix fort, on ne reçoit que censure d’application et indisponibilité de service sans remboursement.

Le Conseil National des Télécommunications CONATEL, étant à la solde de son grand patron répond aux abonnés absents pour la réception des plaintes. Personne ne protège les consommateurs. Les abonnés bafoués se réfugient soit dans l’expression de leur  indignation via les réseaux sociaux soit dans la résignation. C’est de cette deuxième catégorie qu’il faut se méfier. Elle a l’énergie du désespoir. Si elle a épargné les bâtiments de la Digicel lors de l’émeute de la faim en avril 2008, c’est parce qu’alors cette compagnie donnait un écho positif à leurs espoirs. Il serait fort imprudent d’oublier ce petit détail. Le peuple haïtien, je le rappelle, est capricieux et imprévisible. Dans son enfer, gît un nombre incalculable de dieux hier encensés et glorifiés. Duvalier et Aristide peuvent en témoigner.

L’erreur la plus fatale de l’homme en général et des systèmes qu’il forge en particulier, est de méprendre les limites de la force et du pouvoir. Loin de garder ce dernier sous leurs bottes, il lui crée un trône sur leurs têtes. Du coup, il oublie que le véritable pouvoir, celui qui dure, est celui dont on ne fait pas usage. Aux haïtiens aussi, ces comportements prédateurs doivent rappeler que les multinationales, de même qu’elles n’ont pas de frontières géographiques définies, n’ont, certaines fois, pas de limite morale. Le gain est leur seule boussole. Il faut que la société civile s’organise, réponde à sa vocation de groupe de contrôle et de pression. Les associations de consommateurs doivent cesser d’être considérées comme l’apanage des pays industrialisés. Exigez plus et refusez l’extraordinairement médiocre et injuste !

 

Dr Valéry Moise

lyvera7@yahoo.fr


De ces prisons, Mandela sortirait dieu ou rien du tout !

À côté, et peut-être même au-delà des règles de conduite personnelle, il y a les lois que personne n’est censé ignorer et sous le joug desquelles tous doivent se soumettre. Du législateur au plus vulgaire des quidams. C’est en vertu de ce principe que Nelson Mandela s’était vu offrir une place non désirée en marge de la vie sociale.

Tout en se laissant couler dans le creuset des plus puissants, les lois se permettent toujours la grossière moquerie de prétendre protéger les plus faibles. D’abord d’eux-mêmes et de leurs envies mal placées, ensuite de l’avidité des plus forts. Mais comme rien ne peut exister sans son contraire, il est des sociétés où les lois se placent au-dessous des caprices sans cesse changeants de certains citoyens. Proches du pouvoir en place dans la plupart des cas. Ils décident alors de ce qui est légal ou condamnable. Ainsi, est-il commode que les déviants par rapport aux principes de l’arbitraire, de l’injustice, de l’animalité, de l’exploitation se révèlent être dignes d’un seul mérite : la prison.

En Haïti, ce que nous appelons « prison » a de commun avec les autres que le nom. Tout le reste n’est que particularité. Singularité, dirais-je. Aussi loin de l’illégalité qu’on s’ingénie à poser, il peut toujours exister une voie magique menant à la porte trop accueillante de nos prisons. Lieu où les procédures de remise en liberté sont semblables à un bout d’entonnoir. Toujours très restreintes.

Mais pire que l’aspect aléatoire des circonstances de dépôt, il y a les conditions infrahumaines de détention. Le surpeuplement, les châtiments corporels, la carence de nourriture, l’absence d’hygiène, la privation de visites et les violences et perversions sexuelles constituent les principales politiques appliquées par nos centres de détention. Et c’est par le truchement de ces éclipses d’humanité que brillent les plus répréhensibles actes de violence. Violence qui distingue, qui procure respect, qui accorde faveur et qui prédispose à la libération en période pré-électorale. Vous comprenez la logique !

Quand les prisons cessent de répondre à leurs vocations de neutralisation, d’isolement et de réhabilitation du fautif, elles se transforment alors en bouillon de culture propice à la pullulation de tous les actes de banditisme.

Ici, par voie de conséquence, nous fabriquons des monstres que les jungles les plus barbares seraient incapables de contenir. Ici, seuls les attributs divins permettraient à Mandela de triompher des assauts du désir de vengeance. Sinon il ne serait rien. Pas plus qu’une loque humaine. A peine serait-il un élément rongé de maladies et rempli de rancœurs prêt à dévorer tout ce qui lui rappelle, un tant soit peu, les horreurs de l’injustice.

Alors mes chers concitoyens, comprenez que la bêtise est toujours insistante et métastatique. N’attendez pas que la peste s’abatte sur vous ou un membre de votre famille pour dénoncer l’inacceptable. Car, chez nous, quand Madame Justice se bande les yeux, ce n’est point pour ne pas avoir égard à l’apparence, mais pour s’assurer d’une conscience tranquille et se dédouaner quand elle accorde à l’innocent, la place qui revient au coupable.

Dr Valéry Moise

lyvera7@yahoo.fr


Entre fleurs et larmes

Perdue dans ses pensées, elle caressait avec une tendresse débordante son fils qui a de la fièvre. Elle attendait que je lui pose les questions devant me permettre de bien prendre soin de sa progéniture. Mais mieux que mon thermomètre qui évaluait la hausse de température de l’enfant, je prenais à travers ses yeux toute la mesure de sa déficience en amour. Elle en avait pourtant à revendre. Je l’ai vu. Pas un seul mouvement de ses doigts sur son enfant n’a été exécuté sans laisser une marque indélébile d’affection. Elle aime son fils. Mais aussi, à travers lui, son père.  Un père absent. Apparemment comme d’habitude. Et on ne serait pas loin de la vérité en pensant qu’il n’est souvent présent qu’à travers les douleurs qu’il cause à sa femme.

(suite…)


La lettre trouvée dans la poche du manifestant abattu

A mon fils qui veut être Président,

Si tu lis cette lettre, c’est que la lâcheté a encore triomphé du courage, la violence de la liberté, la tyrannie de la démocratie et surtout les mots des actes.

Quand je suis sorti ce matin, ce n’était pas pour aller déposer un nouveau CV. Les employeurs ne recrutent plus sur l’unique base du mérite. Je ne suis pas non plus sorti pour me dérober à mes responsabilités. J’étais sorti pour rappeler au gouvernement que moi aussi je suis un citoyen, que j’ai le droit de vivre dans la dignité. Que tant que j’aurai des diplômes valides et aucun handicap physique m’empêchant de me nourrir à la sueur de mon front, je n’accepterai aucune aide déshumanisante fut-elle peinte sur un tableau d’aide sociale. J’étais sorti pour dénoncer le copinage, la médiocratie, le règne des stupéfiants, l’inversement de la morale,  l’attentat quotidien des valeurs et surtout la corruption qui commence à laisser une dette bien trop lourde pour tes frêles épaules.

Mon fils, j’ai lu dans tes yeux et j’ai compris combien tes rêves sont grands. J’ai observé tes mouvements et j’ai deviné le sens de tes prises de position future. J’ai entendu tes silences et j’ai senti le tourbillon de tes réflexions précoces. Tu as déjà beaucoup vécu, mais laisse-moi te donner quelques conseils que tu ne dois jamais te permettre d’oublier.

Tu es né sur une terre qui a produit de sublimes héros et leurs justes contraires. Le peuple ici, apparemment beaucoup plus que ceux d’ailleurs, est émotif et capricieux. Il a souvent la regrettable habitude de préférer les promesses creuses des idiots aux propositions bien pesées de ceux qui ont péniblement gravi les pentes raides du travail pour se hisser aux plus hauts sommets de la compétence. Ici, les grandes révolutions sont patricides. Voilà, pour être bref, les défis qui t’attendent. Avant de vouloir être Président, apprends d’abord à être un citoyen modèle. Avant de prétendre connaître les autres et leurs aspirations, connais-toi toi-même et triomphe de ton ego. Ne te limite jamais à ta pointure et aux sentiers battus, chausse les souliers des autres et parcours leurs chemins. Comprends pourquoi ils sont tombés, honore-les et relève-toi. Mon fils, quand tu seras Président, rappelle-toi que tu redeviendras simple citoyen. Le monde est complexe et parfois violent, mais ne te prête jamais à la comédie animale de l’humanité, car il y aura toujours un retour de bâton. Méfie-toi des conseillers-renards et des amis parachutés. Et par-dessus tout, ne perds jamais ton cœur d’enfant !

Je sais que tu pleureras longtemps mon assassinat, mais je t’en prie, mon fils, à la vengeance de mon sang,  préfère la concrétisation de mon rêve d’une société siamoise de la justice. Et garde en mémoire ces mots d’Eliphas Levi : « La foi est le levier d’Archimède, lorsqu’on a un point d’appui dans le ciel, on remue et on déplace la terre ».

Ton père qui t’aime !

Dr Valéry MOISE

lyvera7@yahoo.fr