Valéry Moise

Cher policier, as-tu un fils lycéen ?

Il serait évidemment plus pertinent de demander au ministre de l’Education nationale si ses fils ou petits-fils reçoivent le « pain », ne le lisez pas en anglais, de l’instruction haïtienne. Pour peu que l’on se réfère aux habitudes, on sait qu’à cette question le ministre répondrait positivement si « les circonstances » ont permis que ses progénitures soient encore en Haïti. Pays à multiples facettes où pour être gentil le voleur sert un verre de lait pour chaque vache volée. Où la violence est condamnable et sévèrement réprimée seulement quand elle est exercée par les plus faibles.

Je n’ai pas besoin de savoir pourquoi des élèves sont dans les rues aux heures de classe, tout ce qui importe c’est qu’ils sont là en uniforme, sans arme, et qu’ils sont violemment chassés par des policiers. Ceux qui ont pour mission de protéger et de servir. Et si on n’appuie pas trop sur la liaison, ceux qu’on pourrait appeler les « forces des ordres ».

Il n’est nullement nécessaire de souligner que les ficelles autant des écoliers que la plupart des étudiants sont exercées, fort souvent, par des mains qui ne jurent que par fourrer leurs doigts dans l’œil de l’Etat. Mais le propre d’un individu manipulable est qu’il répond, avec à peu près la même inclination, aux sollicitations de nuisance et de construction durable. C’est à l’Etat de canaliser les énergies dégradées et indisciplinées de ses citoyens. Et un Etat force le respect et l’admiration quand il anticipe sur les causes de crise, y propose des solutions et évite de tomber dans les bassesses des réactions. On ne s’improvise pas chef d’Etat tout  comme, en l’espace d’un cillement, on ne fabrique  des forces de l’ordre. Si vous êtes fascinés par le bruit des tendres vertèbres sous vos bottes, si vous aimez les situations de panique déclenchée par les gaz « apnogènes[1] », si votre mission est de libérer votre stock de munitions toujours trop bien pourvu, si vous vous sentez monarque quand vous occupez seuls la voie publique, alors votre place n’est pas dans la police payée avec le sang et la sueur des dignes contribuables.

On sait que vous ne faites qu’exécuter des ordres venus de haut, mais l’évangile est connu de tous. A un principe injuste, personne n’est tenu d’obéir. Encore moins des individus doués de raison et de liberté. Il est toujours bon de garder en mémoire ce sage avertissement d’Eliphas Lévi stipulant : « Quand le pouvoir, semblable au rocher de Sisyphe, échappe aux bras qui veulent le pousser trop haut, il retombe et roule de nouveau au bas de la montagne ; c’est ce qu’on appelle une révolution. »

Ce n’est pas ce dont le pays a besoin pour le moment. Si nos rivières sont asséchées, nos cimetières regorgent de sang imprudent qui nous invite à la tolérance et à la résolution pacifique de nos conflits, si nos salles de classe sont vidées, nos prisons explosent d’individus à qui la dernière parcelle d’humanité a été enlevée. Haïti est un filet dont les mailles ont la détestable habitude de retenir les petits poissons et de laisser passer les gros.

Chers policiers, souvenez-vous d’où vous venez. Rappelez-vous ce que vous êtes venus chercher. Combien d’entre vous n’ont pas un fils, un petit cousin, un neveu, un frère au lycée ? S’ils manquent de jugement dans leurs comportements, c’est qu’ils ont manqué de professeurs dans leurs établissements, s’ils courent par tous les vents, c’est qu’ils n’ont pas suffisamment de bancs, s’ils vous empêchent d’avoir la paix, c’est que leurs directions ne disposent pas de suffisamment de craies.

D’audace et de pouvoirs qu’un méchant soit armé

                        Quand l’heure sonne, il faut qu’il épie et qu’il mesure

                        Et la raison de l’opprimé

                        Devient tôt ou tard la meilleure. (Le loup pris au piège, Eliphas Levi)

 

 

Dr Valéry MOISE

lyvera7@yahoo.fr

 


[1] Entendu comme substance ayant la propriété de provoquer des apnées (Arrêt de la respiration).


Et si le raciste Donald Sterling lisait un peu ?

Si j’étais sûr que Donald Sterling lisait beaucoup et en plusieurs langues, je n’utiliserais pas « l’encre noire » pour écrire ce billet. Mais ayant déjà compris que sa fortune est en équilibre avec sa pitoyable ignorance, j’estime qu’il serait inapproprié de lui accorder plus d’attention dans ces réflexions. Processus qui d’ailleurs semble lui être étranger !

Je reconnais avec tristesse que certains éléments de l’espèce humaine ont le don rare de pouvoir enjamber d’un seul pas rétrograde tous les progrès des différentes civilisations. Leur vision en tunnel n’obéit qu’à la loi de la pesanteur. Ils ne s’autorisent aucune analyse rigoureuse et personnelle. C’est trop éprouvant. Ils se disent, avec raison, qu’on ne peut introduire dans un petit esprit de trop grands concepts comme l’égalité des races humaines.

S’étant habitués à seulement glisser à la surface des choses, leur jugement ne s’arrête qu’à la peau. Soit que l’autre est de la même nuance épidermique soit qu’il n’est rien du tout. Ce comportement bassement instinctif, ô combien dangereux, a déjà écrit, avec des lettres de sang, des pages d’histoire dont le plus sauvage des animaux serait peu fier. Les plus redoutables jungles n’ont pas encore expérimenté toute l’horreur que peuvent contenir ces deux mots : Génocide et Esclavage !

Je n’ai pas connu Auschwitz, je n’ai pas connu la traite des Noirs d’Afrique, mais j’entends encore l’effroyable cri silencieux des mères qui s’efforcent de protéger leurs enfants, l’appel à l’oxygène et à la nourriture des gazés et des rebelles jetés par-dessus bord. Si certains Noirs et d’autres minorités exploitées tiennent aujourd’hui une démarche altière, ce n’est point parce qu’ils ne sentent plus les ravages des coups de fouet du colon d’hier et d’aujourd’hui, s’ils ne réclament pas le fruit des corvées atrocement inhumaines de leurs ancêtres, ce n’est point parce qu’ils sont lâches, mais parce qu’ils sont mus par la noblesse du pardon qui est l’apanage des Grands. Il aurait été beaucoup plus facile de se laisser séduire par la violence dont ils ont été hier victimes.

Pour le bonheur de l’humanité et surtout pour sa sauvegarde, Jésus de Nazareth, Toussaint Louverture, Martin Luther King Jr, Mahatma Gandhi, Nelson Mandela pour ne citer que ceux-là ont tué les germes d’homicide plantés dans chaque acte d’injustice. Ils ont amené une bonne part de l’humanité à comprendre que seule la diversité est richesse, que l’individualité est illusoire, que la supériorité est ignorance, que la complémentarité est absolue, que violence est faiblesse et surtout que la vengeance ne reste jamais invengée.

Fort de ces considérations, quand j’entends des propos racistes, j’entends un appel au secours d’un individu inculte qui a le dégoût de lui-même, quand je perçois une attitude hautaine, je sens la détresse d’une âme en mal d’élévation, quand je vois des systèmes fabriquer l’injustice, je vois des instruments de guerre.

L’humanité a besoin d’évoluer et de revenir aux choses simples en libérant les âmes captives de l’égoïsme brutal. La richesse économique et l’abondance du cœur ne sont pas mutuellement exclusives. Puisse l’Etre suprême permettre à ceux prétendant posséder une supériorité liée à la couleur de la peau et aux cerveaux atrophiés de comprendre que tout ce qui est divisé aux pôles est uni au centre !

Dr Valéry MOISE

Lyvera7@yahoo.fr


Peuples, marchez-vous selon la foi ou selon la vue ?

« Mache non pitit mwen [1]», lança tendrement la mère à son fils qui s’impatiente de devoir encore marcher. « Ah se jènjan w genyen, l’ap mache [2]»  rétorquai-je à la mère. « Li di l’ grangou, men m’ konnen Bondje pap kite jounen an pase san l’ pa manje [3]», face à la conviction de la mère, aucune réaction, du moins visible, ne vint de ma part. Les interrogations étaient trop nombreuses pour pouvoir être sorties d’une seule bouche.

C’aurait dû être un jour consacré au repos et à la prière. Il n’était pas encore 8 heures du matin, je me dirigeais vers l’hôpital où je devais assurer quelques heures de travail, je n’ai pas su où se rendaient la dame et son fils, tout ce qui ne m’échappe pas, c’était qu’ils marchaient selon la foi. La vue devait-être trouble. Et certaines phrases ont le don de coloniser la pensée dans certaines situations. « À l’homme qui marche, il n’appartient pas sa voie » me semble avoir été la  favorite de la dame ce matin-là.

Je ne voulais pas m’arrêter sur le sentiment qui anime une mère qui se voit incapable de donner à manger à son enfant. Je sais déjà que la douleur de l’enfantement est de loin préférable à celle-là. Quand on est préoccupé à donner la vie, les récepteurs de l’absinthe semble moins bien fonctionner, mais comment se soustraire aux atrocités de la culpabilité quand l’assiette qui maintient la vie est rarement chez soi ? Ceci ne fut pas l’objet de mes réflexions. Je me demandais de préférence jusqu’où Dieu ou Satan pouvait-il être impliqué dans les affaires humaines. À quelle proportion étaient-ils coauteurs ou spectateurs du bonheur ou du malheur des hommes.

Il faut évidemment de la profondeur pour pouvoir s’élever à certaines hauteurs. Celles où la science pas plus que la religion ne règne en maîtresse absolue. Celles où l’on comprend que l’on ne s’appuie que sur ce qui résiste, celles où l’on réalise que la stabilité est indispensable au mouvement, celles où l’on met bout à bout ce qu’en général on place face à face. Dans certaines sociétés, Dieu est à la Genèse et à l’Apocalypse de tout, dans d’autres la causalité lui ravit cette faveur. Mais force est de constater que la main de Dieu est partout dans les sociétés où la responsabilité humaine n’est nulle part.

Mon ami Pascal Adrien m’a dit un jour que la misère n’est pas un accident. Il m’a laissé entendre qu’il est programmé par l’inaccessibilité des masses à une éducation de qualité, la rareté des soins de santé, par le chômage pour être bref.  Je dois avouer que ces arguments ne m’ont pas laissé de glace. Ils se sont révélés vrais dans certains cas de figure. Après m’être penché sur la responsabilité des victimes dans leur sort, et extrapolé un peu, il m’a paru que le Créateur intervient très peu dans les affaires humaines et laisse presque toujours le sens du premier pas à la discrétion du voyageur. Et ce n’est pas la chronologie des miracles de Jésus et des prophètes qui l’ont précédé qui en disconviendra. Moise avait un bâton, les serviteurs à la noce de Cana avaient déjà de l’eau disponible pour remplir  les outres quand le vin venait à manquer, les disciples avaient déjà des pains et des poissons avant la multiplication et les exemples sont légions.

Quel est le rapport de toutes ces considérations et la faim d’un garçonnet à qui l’on demande de marcher, se demande probablement le lecteur impatient et exigeant ? Qu’il me soit permis de rappeler, une fois de plus, que la conception d’un enfant est soumise à un certain nombre de principes. L’enfant est source de richesse et de satisfaction seulement quand sa nutrition, son éducation et son support  affectif sont garantis. Aussi, voudrais-je écarter la conclusion rapide et facile de croire que je suis en train d’enlever aux pauvres leurs droits de procréation. Je veux seulement qu’ils soient conscients du cercle qui les maintient dans la pauvreté.  Je ne suis pas non plus en train de dédouaner l’industrie qui fabrique la misère du prolétaire dans le but de mieux l’asservir,  qui le maintient par les tripes au bas de l’échelle sociale,  qui tue son individualité et sa créativité dans les travaux en chaine, qui le garde dans l’ignorance pour qu’il ne pose pas de questions dérangeantes pour l’oligarchie, qui le bombarde de superflus pour qu’il perde de vue l’essentiel.

Peuples, si  je vous demande pourquoi avez-vous faim, les gouvernants me répondront parce que vous ne travaillez pas, mais si je vous demande pourquoi vous ne travaillez pas, on me traitera de communiste. Que votre foi vous sauve !

 

Dr Valéry MOISE

                                                                                                Email : lyvera7@yahoo.fr



[1]  Marche donc mon enfant.

[2]  C’est un grand garçon que tu as, il va marcher.

[3] Il dit qu’il a faim mais je sais que Dieu pourvoira à son besoin avant la fin de la journée.


Le droit des femmes de vivre libre de violence et de discrimination.

Ce n’est pas sans hésitation que j’ai accepté cet honneur  de me présenter ici à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme pour parler de leurs droits de vivre libre de violence et de discrimination. Je me demandais comment allais-je pouvoir me soustraire de ce paradoxe qui ne risque  pas d’échapper  à l’attention des  féministes évoluant aux extrêmes : Un homme venant exposer aux femmes leurs droits !

Je n’attendrais pas leurs protestations pour solliciter clémence et l’opportunité d’expliquer ce qui peut paraitre très audacieux. Qu’il soit clair et compris de tous que je ne suis pas là en tant qu’homme. Je suis là en tant que fils, en tant que frère, et en tant qu’amoureux. Je suis là pour ma mère, mes sœurs et mes amours. Je suis là en tant que défenseur de la personne humaine à quelque genre qu’elle appartienne.

Droit des femmes est le premier thème autour duquel nous nous réunirons aujourd’hui.  N’attendez pas de moi les définitions savantes et compliquées. Pas même les articles. Encore moins les conventions et les décrets.

J’entends par Droit de la femme, l’obligation qu’elle a de se connaitre, de s’aimer, de s’éduquer, de s’instruire, d’oser,  de se respecter,  et  par-dessus tout de demeurer égal à elle-même, et de ne jamais se comparer à personne. Car, je vous le dis en vérité, aucun droit n’est à réclamer mais à protéger. Quand vous réclamez, vous rendez légitime l’illégal. Quand vous cherchez l’égalité avec les hommes, vous corrompez votre nature, vous niez votre importance.  Votre force est dans votre différence. Votre faiblesse est dans l’uniformité, la monotonie, la peur des nouveaux sentiers. Souvenez de votre pouvoir, c’est vous qui concevez les hommes, les nourrissez, orientez leurs premiers pas selon le sentier qui vous parait être le meilleur et comment ne trouvez vous pas anormal qu’après vous êtes broyées, humiliées, sous payées, et sous estimées ? Regardez vous en face futures mères, regardez en arrière épouses accomplies et réalisez que vous cherchez la solution dans l’effet en ignorant la cause.

Tant que, sous l’ordre stupide de vos maris, vous acceptez de garder les petites filles à la maison pendant que les petits garçons vont à l’école, tant que les travaux domestiques demeurent  l’apanage des filles pendant que les garçons sont traités en prince, an ti kòk, tant que vous estimez que le sport n’est pas fait pour les filles, tant que les poupées sont  tout ce que vous leur offrez comme cadeau, tant que vous craignez de leur parler de leur féminité, de leur expliquer les changements qui surviennent à la puberté, tant que vous les estimez trop jeunes pour les notions de sexualité, tant qu’elles ne sont pas aussi libres que les garçons dans le choix de leurs amis, tant qu’ elles sont vues seulement comme infirmières, religieuses, couturières, administratrices, secrétaires, enseignantes, cuisinières, décoratrices, vous commencerez à peine à réclamer une égalité qu’on ne vous accordera jamais.

Soyez  aussi des entrepreneures, des femmes politiques, des ingénieures en informatique, des astronautes, des ingénieurs mécaniques, des avocates, des militaires et j’en passe et seront disparues la violence, la discrimination et les inégalités.

Observez l’eau qui  désagrège la pierre et vous comprendrez que la puissance ne tient ni aux pantalons ni aux bras de fer. Arrêtez de voir le châtiment corporel comme une excellente forme d’éducation des enfants, et ceux-ci comprendront combien le corps est sacré et combien il est inhumain et inutile de recourir à la violence pour exprimer des désaccords ou infliger une punition.

Quand je vois un ministère à la condition féminine, je vois un danger pour l’union de la famille et un handicap à sa propension naturelle de trouver des solutions à des problèmes dont la compréhension est quasiment impossible à tout élément placé en dehors de son cercle. Aussi utiles que puissent être les mains au corps, elles ne sont jamais sollicitées dans les accidents qui interviennent assez souvent entre la langue et les dents. L’équilibre à rechercher est interne et dynamique.

Et pour mettre un terme à ma présentation de ce matin, je vous dirais, chères écolières, de prioriser vos études, d’aimer la lecture, d’apprivoiser l’écriture seules capables de vous aider à élaborer et coordonner vos pensées. Respectez votre corps et valorisez-le. Je n’irais pas jusqu’à vous exiger un esprit  sain dans un corps sain mais je m’en voudrais de ne pas vous exhorter à tenir vos perles loin des pourceaux. Vous ne gagnerez rien à résumer cette créature merveilleuse que vous êtes  en vos 5 sens. Inspirez vous d’Angela Merckel, de Michelle Obama, de Claire-Heureuse, de Catherine Flon, de Michaelle Jean,  d’Emeline Michel, réalisez en vous l’alliance rare de la beauté et de l’intelligence et devenez l’idéal de ce que pourrait exprimer le mot : Femme !

Je vous en remercie !

 

Dr Valéry MOISE

Email : lyvera7@yahoo.fr

 


Ces routes qui conduisent à la tombe

Dans une certaine mesure pourtant, ils font partie des chanceux. De ceux qui « travaillent », des rescapés du chômage. De ceux dont les photos retouchées ou les salaires réels amplifiés font dire qu’Haïti avance.  Vers quelle destination ?  Pour ceux-là, il s’agit de la  tombe !

Des traits de jeunesse sont encore perceptibles sur leurs visages. Ceux qui s’en douteraient, seraient vite rassurés par la vigueur de leurs bras. Au sein de la même équipe, ils sont répartis suivant les tâches. Certains sont affectés au transport de l’eau, d’autres du sable, et la plupart au mélange du ciment. L’inhalation et l’ingestion de la poussière de ce ciment qui, au fil du temps, affectera leurs fonctions respiratoires et tenant ainsi hors de leurs poumons, le souffle de vie.

La sécurité, même dans son sens le plus général, est un terme ésotérique en Haïti. Il est réservé aux initiés du gouvernement, de leurs proches et des « experts » de la communauté internationale. Pas besoin de le rechercher dans les contrats et conditions de travail. Cela n’intéresse personne. Pas autant les employeurs que les employés. A quoi cela servirait-il d’ailleurs dans un pays où le chômage règne en maitre absolu et où la justice est la raison ou mieux le caprice du plus fort ?

Sans masques, sans bottes, sans casques, sans gants, le travail doit être fait. Le choix est simple. Mourir tout de suite de faim ou souffrir à long terme de maladies pulmonaires. Par une simple observation, on verra qu’aucun  brave ne jette le dévolu sur la première option. Il y a une famille nombreuse à nourrir. Et ce qui manque aux femmes de ces ouvriers dont la vie subit chaque jour un attentat, ce n’est pas des mains de velours. Elles n’ont jamais connu ni les gâteries ni les caresses de la vie. Leur quotidien est fait d’ouragans qui les culbutent de problèmes en problèmes, pas de brises qui les caressent le visage. Elles sont habituées aux mains rocailleuses sur leurs peaux. Elles ne sont pas touchscreen !

Et pourtant cette peau-bouclier que la vie leur a imposée, cache et protège une mine de sensibilité et d’amour à l’égard de ces sacrifiés dont la vie ne risque pas d’être longue. Ces jeunes sur qui devaient reposer la  « reconstruction » du pays. Ces futurs invalides que l’Etat créent et aux besoins desquels il sera à la fois insensible et impuissant. Cette main d’œuvre bon marché que l’Etat gaspille et sous-estime. Cette aubaine dont la disparition va handicaper le développement de la classe moyenne et du coup favoriser l’importation des travailleurs dominicains et philippins comme c’est déjà le cas.

Chaque vie a besoin d’être revalorisée en Haïti. Aucune n’en vaut une autre. On a déjà réussi à provoquer le dégoût des  intellectuels conséquents, on est déjà parvenu à rendre le pays trop petit pour les grands idéaux, il est  donc criminel de ne pas assister la classe ouvrière, de ne pas forcer le Ministère des Affaires Sociales et du Travail à s’acquitter de son boulot dans les meilleurs termes dont il doit être capable.

On a déjà saisi qu’Haïti est ouvert aux médiocres, aux corrompus, aux invertébrés et fermé aux soucis du travail bien fait, aux standards internationaux et à la sécurité du travail.

Mais ce qui continue à soulever  l’interrogation c’est de savoir où vont cacher les colons quand le sang des  esclaves modernes  demandera des comptes.  Quand la sueur des travailleurs trop peu rémunérés ressusciteront  les rêves enfouis qu’on croyait à jamais  enterrer. On ne brise pas impunément la branche sur laquelle on s’assoit quand on n’a pas des ailes. Que la raison enseigne aux incrédules ce que la force du désespoir s’impatiente de faire pénétrer violemment dans leurs microscopiques cerveaux !

Dr Valéry MOISE

Email : lyvera7@yahoo.fr


La victoire qui manque aux Titans !

Ils en avaient marre de n’être que des numéros sur les listes électorales. Ils refusaient de continuer à se voir comme des marchepieds à des pouvoirs dont ils ne bénéficiaient presque jamais des privilèges. Ils ont décidé de partir. Sans itinéraire. Un point de départ clandestin et quel que soit le point d’arrivée pourvu qu’ils arrivent à échapper à cet enfer dans lequel ils devaient continuellement gémir pour avoir commis le péché mortel d’être prolétaire.

L’eau salée qu’ils battaient pour en tirer du beurre, ils avaient décidé de la traverser. Peu importe le moyen. L’essentiel est qu’ils passent de l’autre bord. Les risques sont énormes et ils en sont conscients. S’ils ne sont pas arrêtés par les garde-côtes, ils peuvent mourir dans d’affreuses conditions de faim et de naufrage. Mais à une mort lente, certaine, sur terre, ils ont préféré le risque de la mer. La foi de certains et la complicité de la nature émue devant leur misère et leur courage ont permis à certains d’atteindre leurs objectifs.

Les voici donc étrangers à la langue locale, sans papiers, sans contacts majeurs et sans qualifications la plupart du temps. Et pourtant, ils sont là en conquérants.  Pas des terres des autres, ni même de leurs richesses. Mais de leurs rêves d’une vie meilleure.

Une vie meilleure à gagner au prix des travaux pénibles faiblement rémunérés, des préjugés de toute sorte, du racisme et de la reconnaissance muette. Une vie loin de l’amour familial et de la culture dans laquelle ils étaient pétris. Une vie loin de la patrie à laquelle ils devaient appartenir. Mais miracle ! Même coupés de leurs racines, la sève héroïque continue à couler dans leurs veines. Le destin n’abat pas les Titans. Ils sont comme le café haïtien. Ils ne résistent pas à la dissolution dans l’eau bouillante, mais ils imposent leur couleur et leur saveur !

Ils s’intègrent à leur manière, prospèrent, soutiennent leur famille, et permettent la création de biens et de richesses dans leur communauté d’origine. Et la pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle !

Cependant, à l’envers de la médaille, le soleil semble s’obscurcir. Sous les toits de beaucoup de Titans évoluent des Nains. La douleur et la difficulté quotidiennes ayant capitulé devant leur ténacité, certains Titans ont cru bon de déposer les armes. Ils ont trop souvent oublié l’ultime devoir du combattant qui est de passer le flambeau.

Il se produit alors une cassure brutale, entre les «  immigrés » et leurs enfants nés en terre étrangère. On est même porté à croire qu’il y a, certaines fois, une perte systématique de l’héritage culturel. Serait-ce par souci d’adaptation à la culture hôte, serait-ce le fruit d’une certaine honte inappropriée de la différence, serait-ce la peur d’un poids historique trop lourd à porter, serait-ce le fait qu’ils se sentent anonymes dans toutes ces mégapoles cosmopolites,  serait-ce un défaut de transmission adéquate ou une conjugaison de tous les précédents ? Nous croyons qu’il s’agit là d’un important sujet de recherche pour les sociologues.

Tout comme on se sent fier quand des citoyens d’origine haïtienne réalisent un exploit, on se sent tout aussi déçu et humilié quand ils affichent des comportements qui les placent en marge des sociétés civilisées. Et l’on est souvent tenté de croire que l’éducation de la famille haïtienne traditionnelle comporte des digues qui ont le don de contenir les élans de vagabondage des adolescents. Et une comparaison superficielle entre les jeunes nés et élevés en terre étrangère et ceux immigrés à un âge adulte plaiderait en faveur d’un tel argument.

Qu’on ne me prête pas des intentions que je suis loin de soutenir. Il ne s’agit pas ici d’enclencher une division entre ces deux groupes qui ne le sont pas d’ailleurs tant ils ont des points communs, mais essayons plutôt de voir dans quelle mesure la force de l’un pourrait compenser la faiblesse de l’autre dans une coopération à bénéfice réciproque.

L’union qui fait la force ne doit pas être seulement prônée au niveau national, mais elle doit être portée le plus loin que possible. Pourquoi pas une structure d’échanges culturels et de soutiens entre les différentes franges de la diaspora ? Notre culture, tout en étant ouverte aux autres, doit se renforcer pour ne pas mourir. Les notions de courage, d’honneur, d’éthique, de respect, de mérite qui tendent à disparaître dans notre société de plus en plus consommatrice des déchets internationaux, doivent être réappropriées et transmises aux jeunes Haïtiens d’ici et d’ailleurs comme des traits culturels majeurs de nos ancêtres qui ont osé réhabiliter le statut de l’homme noir en particulier et de tout homme en général. Ils ont affronté le passage de la tombe pour créer une société moderne.  Soyons des fils dignes !

Dr Valéry Moise

                                                                                                           Email : lyvera7@yahoo.fr

 


Combien de faux épis voulons-nous dans la moisson?

Comme presque toujours, l’actualité glisse à la surface des faits divers.  Dilatoires entre acteurs en mal de légitimité par-ci, histoire de cul par-là. Et entre les maux infinis, des lycéens sont dans les rues laissant vides les bancs de l’école qui épousent alors l’aspect des poches des enseignants. Pourtant l’optimisme est encore le crédo. A travers  les lunettes Hi-Tech de Google, le premier ministre voit « Ayiti ap vanse » (Haïti avance). L’éducation est de nouveau la priorité du gouvernement qui ignore autant le nombre d’établissements scolaires fonctionnant dans le pays qu’il connait le nombre de nouveaux scolarisés grâce aux subventions de l’Etat. Le temps est triste et inquiète. Le soleil devient timide. La terre bouge et secoue tout sauf la conscience nationale. Pourtant, l’heure est au carnaval !

S’il a fallu, faute de budget, retarder d’un mois la rentrée des classes, ce ne sera apparemment pas le cas pour le carnaval. Ce n’est point parce que l’état accorde plus d’importances aux festivités populaires, encore moins parce que le corps suit l’orientation de la  la tête  mais à cause de l’abondance et de la disponibilité de l’expertise  pour cette activité qui devient l’un des traits distinctifs de l’Haïti-rose.

Depuis deux semaines,  en observant les êtres mus par les désir-pesanteurs défiler dans les rues, j’ai compris qu’est arrivée la période où les masques vont révéler les vrais visages. Déjà, la morale se prépare à entrer en hibernation.  Des contentieux s’impatientent d’être vidés dans le sang.  La possibilité va être donnée au citoyen superficiel d’échapper aux interrogations quotidiennes de son existence. Mais aux convulsions des énergies dégradées, succéderont à coup sûr les soucis de la vraie vie. Ceux auxquels on n’échappe pas pour longtemps et qui  n’admettent  point l’économie de pensées.

Personne, aussi aigu que puisse être son sens de responsabilité, ne peut nier le droit aux loisirs d’un peuple. Et l’on tendrait avec raison à croire que celui-ci devrait gagner en intensité ce que le labeur a pris en durabilité et rudesse. Cependant, pour peu que l’on regarde le PIB haïtien, le taux de chômage et la médiocre performance du produit scolaire, on ne pourra s’empêcher  de questionner l’engagement de l’haïtien dans la construction de son futur. Un futur que l’on croit pouvoir ravir à l’obscur et dévier de la décadence à coup de slogans et de paroles oiseuses. Si la propagande grossière s’imprime facilement dans les esprits peu exercés, elle demeure encore impuissante à changer les faits.

De plus en plus, on se rend compte que notre vulnérabilité est entretenue pour renforcer les comptes bancaires  des faux samaritains d’ici et d’ailleurs. Nos bergers, paradoxalement, sont honorés par les loups  pendant que le troupeau s’amenuise. Il semble que le danger est trop grand et trop près de nos yeux pour qu’on puisse le voir !

Jeunesse de mon pays, vous qui représentez la majorité démographique. Vous  qui avez échappé au système « cérébrophage », engagez-vous !  Pas seulement dans le sens de ces impulsifs opportunistes qui veulent briguer des postes politiques sans agenda, sans honnêteté et sans support économique valable mais surtout engagez-vous dans la voie étroite.  La voie où la charité bien ordonnée, commence par soi-même, la voie de la prédication de l’exemple par l’exemple, la voie de l’entrepreneuriat social, la voie de l’apprentissage avant le commandement, la voie de la transparence, la voie de l’excellence, la voie du mérite, la voie du dialogue franc, la voie du renoncement  à la gloutonnerie individualiste. Car, je vous préviens,  si vous continuez à vous comporter en ambassadeur de la médiocrité et de la corruption d’une certaine jeunesse, les murs parleront et les linges sales se laveront sur la place publique. Le Nazaréen n’aura même pas le temps de tracer par terre que la première pierre sera jetée contre vous. Indignez-vous, bousculez l’inacceptable, jouissez de l’inflexibilité de vos jugements avant que le chêne devienne roseau. Qu’il en soit ainsi !

Dr Valéry Moise

 

 

 


Désolée ma fille, tu ne pourras plus être un Albert Einstein !

Entre ton absence de sourire et la précarité de ton avenir, je ne sais pas ce qui m’inquiète le plus. Toi, qui devais être une promesse de richesse et de bonheur. Tu n’as que cinq ans et déjà tu parais à peine moins vieille que moi. Tu ne joues pas, tu ne pleures pas et tu ne manges pas. Ton indifférence dure trop longtemps pour être un masque, un faux-semblant.

J’ai entendu dire que vous les enfants, vous êtes extrêmement perceptifs. Vous servez de miroir aux émotions et faites écho des pensées des adultes. Dans un premier temps, je n’y ai pas ajouté foi et dans le second, j’ai voulu m’éloigner de toi. Que de corps. Pour te confier à une famille capable de prendre soin de toi, de t’instruire et de t’éduquer. N’en sois pas dégoûtée ni désespérée. Mon amour pour toi a déjà franchi toutes les frontières et n’a pas perdu une seule étincelle de son intense chaleur.

Ma fille,  quand tu arrivas je ne l’ai pas su. Je n’avais pas les informations nécessaires qui m’auraient permis de planifier ta naissance. Mais une fois dans mon sein, je t’ai acceptée et tu as su me donner cet élan que je n’avais pas, cet espoir que je n’oserais pas nourrir pour moi-même, ce sens qui manquait à mes luttes quotidiennes. J’étais à la fois trop émue et trop fière pour m’arrêter sur ces quelques gênes physiques et ces modifications physiologiques engendrées par notre cohabitation. Cette cuvette pleine de marchandises que je m’interdisais de te transmettre comme héritage, je la portais alors avec fierté sachant qu’elle promenait désormais ton rêve mêlé au mien. Mais le malheur semble nous avoir prises d’assaut et nous ne pouvons que saluer de loin ce bonheur vers lequel nous tendions.

J’ai porté la cuvette, mais c’est tes cheveux qui ont perdu leur noirceur et se sont fragilisés, j’ai retenu mes larmes, mais tes yeux se sont asséchés. J’ai exposé ma peau à la chaleur et au froid, mais c’est la tienne qui est cartonnée. J’ai brûlé mes calories, mais c’est ton stock qui est épuisé. J’ai aiguisé ma vision et la tienne s’est affaiblie. Mes remords sont inversement proportionnels à ton poids. Je suis désolée ma fille, tu souffres de malnutrition. Tu ne pourras plus être un Albert Einstein.

Je ne savais pas que ce sort pourrait être conjuré par l’administration de vitamine A et de quelques suppléments iodés. Tu as manqué la cuillère salvatrice. J’ai vendu mon poisson pour t’acheter des cuisses de poulet venues d’ailleurs. J’ai vendu mon lait de vache pour t’acheter les jus dont les valeurs nutritives sont incessamment vantées dans les publicités radiophoniques.

Pardonne-moi ma fille ! Ta mère a péché par ignorance et par omission. J’ai omis que le ministère de la Santé publique et de la Population MSPP avait le bras court, que le ministère des Affaires sociales ne gère que les miettes que veulent bien lui laisser ces programmes sociaux cosmétiques, suicidaires et avilissants qui ont le seul don de dépouiller le citoyen mineur du peu de dignité qui lui restait. Pardonne-moi ma fille, j’ai péché. J’ai omis qu’ici ; chacun pour soi, Dieu pour les fidèles.

Dr Valéry Moise.

 


Combien faut-il de liberté à la presse ?

Quand ses bornes ne sont pas posées, quand l’horizon recule à mesure qu’avance la liberté,  on tombe inéluctablement dans le champ de l’asservissement. Par la voie qui a été prise pour l’éviter, on se retrouve de plain-pied dans l’esclavage. A quiconque, il n’est permis de régner par l’excès. Il faut toujours un peu d’équilibre et beaucoup d’informations. De sagesse. Et parlant d’équilibre et d’informations, nous ne pouvons nous empêcher de faire une association spontanée avec la presse. Une entité dont l’importance n’est plus à démontrer dans les régimes démocratiques, si bien qu’on la qualifie tantôt de quatrième pouvoir, tantôt de contre-pouvoir. Mais qu’on ne nous tienne pas rigueur d’orienter nos intérêts sur un autre aspect ayant plus à voir avec la responsabilité de la presse qu’avec la sémantique. Aux grands pouvoirs, les grandes responsabilités dit-on, et nous acquiesçons. Quel serait alors le rôle de la presse dans la nouvelle orientation nécessaire au redressement du monde ? Dans la lutte pour l’éducation, la santé, la protection de l’environnement, la croissance économique du plus grand nombre, la promotion de la paix, et de la diversité culturelle ?

Le monde doit évoluer et freiner sa course folle vers cette honteuse dégradation. Qu’il vienne le temps où les tonneaux pleins fassent plus de bruit, que la lumière émerge de dessous les tables opaques, que l’essentiel reprenne le dessus sur le superflu, que le lion se change en berger des forêts, et la famille l’unité fonctionnelle des sociétés. Dans le meilleur des cas, tout cela prendra des siècles pour  se réaliser si la presse ne se fait pas l’obligation morale et intelligente de s’y mêler. L’heure est à l’engagement et aux responsabilités partagées. Le sauvetage ne peut être que collectif et le découpage des informations  hautement sélectif.

L’opinion publique est rassasiée de  ces politiciens vautours et sans vergogne à qui vous donnez l’occasion de monopoliser la parole et de conspirer sans cesse contre la vérité. Les enfants regardent avec des yeux gourmands  et un esprit troublé toutes ces « super stars » ambassadrices des ténèbres, réfractaires à la morale et à l’éthique qui font la Une des journaux. La société civile se demande perplexe où sont passées les émissions à visée éducative ? Quel est ce culte  voué à des «  musiques » qui ont le don non enviable de réveiller les pulsions violentes ? Les consommateurs n’attendent pas que vous sollicitiez leur confiance, ils vous l’accordent et veulent seulement savoir si vous les protégez de vos commanditaires. Considérant le rythme suivant lequel l’impérialisme se débride, la presse doit s’engager activement dans le développement de l’esprit critique des masses  et  éviter de servir de caisse de résonnance à tous ces malfrats qui pensent pouvoir réduire le monde à eux-mêmes, leur entourage immédiat et leurs intérêts toujours partagés entre le bas-ventre, le ventre et les poches.

Ce serait, par contre, une opposition frontale à l’honnêteté,  de croire que dans le champ des médias, il ne pousse que les mauvaises herbes. En dépit des salaires de misère, des moyens qui manquent jusqu’à l’essentiel, des obstacles à l’accès aux informations crédibles, aux menaces quotidiennes, aux tentatives de corruption, aux mépris, à l’irrespect,  aux favoritismes sexuels, et aux censures, il existe encore des journalistes respectables, instruits, sourds aux chantages qui font un travail appréciable et à qui la société doit reconnaissance et honneur. C’est de ceux-là que renaîtra la nouvelle presse et donc le Nouveau Monde.

Cette presse qui accorde la parole autant aux indigents qu’aux favoris de la fortune. Cette presse rivée à la recherche et la diffusion  de la vérité. Cette presse qui informe et qui forme. Cette presse indifférente aux fantaisies arborant le masque du nécessaire. Cette presse qui joue sur l’émotion plutôt que sur la raison, sur la répétition incantatoire plutôt que sur l’argumentation, sur l’affirmation gratuite plutôt que sur la description objective. Cette presse qui comprend qu’aucune évolution n’est possible sans une volontaire privation au profit de l’autre.Cette presse qui réduit sa liberté d’être spectatrice au bénéfice de la pro-action. Cette presse qui confond le droit à la liberté au devoir de renoncement.

Dr Valéry  MOISE

 


Ce que les mots taisent, les actes le disent !

Ils étaient deux. La misère a certes imprimé ses traits sur leurs visages mais n’a pas complètement réussi à leur faire passer pour des vieillards précoces. Ils avaient apparemment entre 12 à 14 ans d’âge. La lumière qui devait briller dans leurs yeux, se trouvait amoindrie et placée un peu plus bas entre des lèvres qui maintenaient une cigarette. Ils fumaient. Ce fut un dimanche près du marché se trouvant à l’entrée de Delmas 75.

Passant par là, je ne pouvais m’empêcher de m’arrêter, les regarder, incapable d’articuler un mot, puis je suis reparti. Plus seul, mais avec cette image qui habite désormais ma mémoire. Savaient-il que  la couleur de la cendre prédisait celle de leur poumon dans un avenir proche ? Comprenaient-ils que leurs rêves s’envolaient à la cadence des fumées qu’ils exhalent ? Ils brûlaient leurs vies et moi je fumais de colère à l’idée qu’ils sont l’avenir du pays.

Nous sommes un pays singulier. Nulle part ailleurs, il ne serait permis à des gamins de pouvoir non seulement acheter mais encore consommer, avec une quiétude qui déroute la raison, des produits nocifs qui nuisent gravement à leur santé. Ont-ils des parents ? Probablement pas, peut-être des géniteurs encore vivants qui croissent et multiplient la terre de façon accidentelle. La famille semble être une espèce en voie de disparition. Comparable à l’atome  duquel on soustrait un ou plusieurs électrons, elle devient instable comme un ion et s’unit à n’importe qui, n’importe quoi. L’autorité parentale s’effrite avec la faiblesse du pouvoir économique. Le capitalisme a pris l’église d’assauts, on y fait plus de quêtes que de prières, plus de médisances que d’exhortations et la chair dispose de la force de l’esprit comme un cheval maîtrisant son cavalier. L’Etat qui devrait être le dernier rempart, souffre d’une anémie sévère de modèles. Ces actes abominables parlent plus forts que ces mots moralisateurs. A la balance de l’exemple, il s’est révélé trop léger, et la société la vomit avec tout le dégoût dont elle est capable.

Ses problèmes sont complexes. La trop grande fertilité de nos familles semble battre en brèche sa capacité à émettre des actes de naissance. La population se trouve donc divisée en deux catégories : Enregistrée et non enregistrée. Énormément d’enfants sont nés en marge de l’administration de l’Etat et ils y demeurent jusqu’à l’atteinte de la majorité électorale. D’ici-là, ils sont partout sauf à la place qui convient à des enfants dont on reconnait les Droits à la santé, à l’éducation, au bien-être social voire à la vie tout court. Quand ils ne sont pas dans la rue pour initier leurs âmes à l’injustice sociale, ils sont pour la plupart dans ces banques d’organes déguisées en fondation. Quand ils ne sont pas dans ces « écoles » qui comptent plus de cuisiniers que d’enseignants, ils sont à la merci des prédateurs sexuels qui leur font confondre vessie et lanterne. Puis viendra le temps où les têtes qui n’ont jamais pensé leur reprocheront et même les condamneront d’avoir laissé germer les graines qui ont été semées. Aucun compte ne sera tenu de la violence structurelle et institutionnelle dans laquelle ils ont grandi et évolué.

Moi, quand je regarde un enfant des rues briser une vitre, je vois une promesse électorale non tenue, quand je regarde un enfant sans idéal, je vois un gouvernement sans vision, quand je regarde un enfant manquer de respect à une loi établie, je vois de policiers et officiels circuler en sens inverse, quand je regarde un enfant essuyer une voiture aux heures de classe, je vois une société touchant le fond de l’abîme. Rendez-moi fou ou sage, je verrai toujours à travers les enfants l’image des adultes.

On reconnait, évidemment, qu’ici il n’est question que de ceux qui vivent dans des conditions d’extrême vulnérabilité, ceux dont le poids du corps ne dépasse pas la capacité des ailes. Ceux à qui le manque d’éducation et l’absence de politique éclairée ravissent le rêve de partager le rang des Einstein, Eddison, et le plus fameux de tous : Mandela.

Ceux qu’on tenterait d’appeler les fumiers par rapport à leurs actes répréhensibles. Pourtant, faut-il bien avoir le courage d’admettre que ces fumiers sont créés par des déchets adultes et qu’il est encore possible d’y faire pousser les meilleures roses de l’Ayiti-Quisqueya qui doit revenir.

 

Dr Valéry Moise

                                                                                    lyvera7@yahoo.fr