Valéry Moise

Dessalines-Pétion, le brouillon d’un dialogue avorté !

Ce n’est pas qu’un article de plus. Face aux avalanches de dangers imminents qui assaillent ma patrie de toute part, je ne saurais prioriser la cohérence du discours sur la multiplicité et l’ambiguïté des sentiments qui me traversent, me bousculent et m’étreignent. Pour cette fois, je n’ai pas le souci d’être impersonnel. Je prends position.

Quand l’abcès est mûr, l’économie du drainage est anti-thérapeutique. Aussi douloureuse que puisse être l’évacuation des pus, elle est incontournable pour le traitement. La volonté de l’homme n’est pas au-dessus des lois de l’univers. La vie sur terre a ses prérogatives et obligations. Le bonheur d’une nation ne se définira jamais par l’absence de problèmes et  de défis mais par sa capacité à les regarder en face et à les surpasser.

Je reconnais que la tactique du marronnage, pour une large part, a contribué à créer les conditions psychologiques nécessaires à la sublime révolution nègre de 1803. Mais nos ancêtres, autant Dessalines que Pétion, avaient eu l’adresse de comprendre que cette stratégie n’est valable que provisoire. Voilà pourquoi, en dépit des énormes différences qui caractérisaient leur itinéraire, ils se sont arrêtés au carrefour du dialogue pour prendre ensemble le chemin de l’union qui a abouti à la force du 18 novembre à Vertières.

210 ans plus tard, des défis occultés, esquivés auxquels s’adjoignent de nouveaux enjeux posent la nécessité d’un nouveau dialogue. Un dialogue tenant compte de tout. Du petit comme du grand, de l’épiderme comme du cœur, de la vérité comme du mensonge, de l’épopée comme de la réalité, du rêve comme du cauchemar. Ce n’est pas la frayeur de l’impopularité qui va comprimer ma position. Dessalines, le chef suprême de la nation, doit rencontrer Pétion, pas pour la casse, pas pour la violence, pas pour l’inversement des privilèges,  même pas  pour le procès posthume de son assassinat longtemps recouvert d’opacités mais pour le lancement du dialogue constructif qui doit rappeler à tous et à chacun que cette terre n’a qu’un seul propriétaire : La liberté.

Cette liberté élégante, pleine d’entrain qui allie les droits politiques et sociaux aux droits économiques, et ceci indépendamment de la création sociale à laquelle on s’identifie et on croit appartenir. Dessalines doit obligatoirement rencontrer Pétion comme il est permis entre   supérieur hiérarchique et  collaborateurs directs. Pas pour scander des slogans hostiles indignes de son rang ni pour poser comme scientifiques des pseudo-analyses limitant à l’épiderme la source des différends entre les diverses couches de la société haïtienne. Lui, qui 210 ans déjà comptait des Polonais parmi son personnel médical, lui qui avait le malheureux privilège de vivre dans sa chair les atrocités auxquelles peuvent conduire les préjugés de couleur. Oh non ! Arrêtez les blasphèmes, ce n’est pas à ces trivialités qu’il accorderait d’importance. Comme toujours, il traiterait le mal par ses racines. Il ne chercherait pas la motivation de nos actions à la surface de la peau. C’est de la bêtise humaine qu’il discuterait, du danger d’être habité par des intérêts mesquins, du mépris de l’effort méritoire,  du viol incestueux,  répétitif et collectif de la justice, du chômage hallucinant, de l’éducation désossée, du développement rachitique, et de la mainmise paralysante de la bourgeoisie boutiquière sur l’élan national. Le héros qui n’avait d’égal que sa capacité à transcender les mesquineries, n’imputerait jamais à une seule classe la cause de nos errements. Il n’oublierait certainement pas qu’aux grands pouvoirs incombent les grandes responsabilités mais il ne serait pas plus clément face à la masse électorale qui semble n’avoir jamais appris de ses erreurs, qui rarement  s’organise pour briser le joug de la dictature de l’émotif pour embrasser la raison. Voilà ce que serait l’essentiel de l’intervention  de celui qui a toujours su que les véritables ennemis sont l’absence de communication franche, l’ignorance, et les intérêts inavouables et inavoués qui peuvent être l’apanage des noirs, des blancs, des jaunes, comme des rouges.

La société haïtienne est en décomposition. Elle pue l’impérialisme de la médiocrité, de la myopie politique, de la propagande nauséeuse, du débridement excessif de la sexualité irresponsable, de l’aliénation mentale collective, et surtout de « L’excusite ». Cette maladie qui veut que l’haïtien soit une éternelle victime n’ayant jamais sa part de responsabilité dans son mal et malheur. Certes, la plus infime probité intellectuelle, recommande à tous de reconnaitre les méfaits encore actuels de la conspiration internationale contre cette poignée de nègres pourtant sublimissimes en dignité et en valeur, qui a osé rappeler aux tenants du colonialisme avilissant que l’homme est né pour vivre libre. Mais qu’importe, qu’il me soit encore permis de rappeler que le rôle du conspirateur c’est de conspirer, et le rôle du gouvernement c’est de protéger. Si le premier ne lésine pas sur les moyens pour accomplir son forfait, le deuxième devrait faire sinon mieux du moins autant. Il parait que nous sommes encore loin de comprendre que les mineurs ne chôment pas, c’est à nous de bien diriger nos pas. Malheur au pays dont le chef est un candide !

Nous sommes à peine en novembre, et déjà l’hiver nous frappe de toute sa rigueur. À l’Est de nos frontières, nos frères sont froidement abattus comme des chiens pour avoir commis le triple crime d’être haïtien, noir et pauvre. Et on appelle ça : Un incident. Ici, le soleil se couche tôt, sans avoir le temps de suffisamment réchauffer nos graines d’espoir. Ce n’est pas que ses rayons soient devenus paresseux mais  émus par nos misères, ils ferment les yeux et pleurent. Au printemps, il nous est fait la promesse que ces larmes fertiliseront nos terres car nous portons la marque du soleil sur notre peau et sa chaleur dans notre cœur éternellement conquis par la dignité.

Dr Valéry Moise, lyvera7@yahoo.fr


Cette démocratie qui établit la dictature de la misère !

Bientôt,  si la communauté internationale ne change pas d’avis, ils vont être à l’honneur ! Aussi la carte géographique ne sera plus autant squelettique. Des communes, des sections rurales et même des ravines vont retrouver leur place. La République de Port-au-Prince, loin d’être jalouse de cette anémie d’attention, s’en rit et s’en moque. Elle sait que c’est provisoire. Ce n’est que pour la période électorale. La période des promesses creuses basées sur l’ignorance, la candeur et surtout la misère. Oui, bientôt disions-nous, la population rurale va recevoir ses fils prodigues, leurs problèmes vont coloniser tous les discours avec une force inouïe. Des solutions, comme par magie, vont constituer les fonds d’écran de ces zones sans électricité, sans école, sans loisir, sans vie pour faire court. Mais qu’importe, elle a la démocratie, la liberté…

Liberté, ce mot cher aux Haïtiens. Ils en connaissent la valeur pour l’avoir payée au prix de leur sueur, leur chair et leur sang. Seulement comme des enfants trop émus de leur nouveau jouet, et trop empressés de l’utiliser, ils ne prennent jamais le temps de lire le manuel d’utilisation. Par de mauvaises manœuvres, le jouet se gâte et se casse…

A peine délivré des jougs infernaux de la dictature des Duvalier,  le peuple haïtien s’est vu plonger dans un vaste océan de licence qui s’apparentait étrangement à l’idéal de la liberté en se demandant à peine s’il y avait suffisamment  de sauveteurs qui pourraient l’aider à orienter sa barque vers le progrès et poser ses pieds sur un rivage plus sûr où il pourrait concevoir, planifier, construire et vivre. Profitant de cette frénésie collective où la raison avait baissé la garde, un homme dont l’appartenance et les prises de position inspiraient confiance, dans un élan de vengeance puérile et non contenue, a malencontreusement brûlé les ailes de cette démocratie naissante dont les balbutiements laissaient présager la plus fulgurante des évolutions.

Dans le champ de la démocratie, il a semé l’ivraie de la démagogie. A l’éducation, il a substitué l’alphabétisation. Des institutions publiques, il a fait un repaire de bandits. Sur le feu de la réconciliation nationale, il a versé le sable des rancœurs. Et du cœur des jeunes fragilisés par la pauvreté, il a brutalement, sauvagement enlevé le désir d’apprendre et la fierté de travailler, pour placer entre leurs mains des armes qui ont emporté des vies exemplaires que la nation pleure encore. Il n’est certes pas responsable de tous les maux du pays, mais il avait la chance unique et historique d’expliquer et d’instaurer la démocratie qui élève et ennoblit indépendamment des couches sociales. S’il avait instauré un système éducatif performant à une seule vitesse, tenant compte des besoins du pays, les masses populaires seraient mieux éclairées et au lieu des discours centrés sur leur personne, les candidats sentiraient l’exigence d’un bon programme électoral scientifiquement défendable.  S’il avait renforcé l’économie paysanne, un vote aurait le poids du mérite et non celui d’un sac de riz. Et si au Parlement, il n’avait pas placé, par des élections frauduleuses, des invertébrés incapables de se tenir debout devant les injonctions de l’exécutif, la pourriture d’une seule orange n’aurait pas gagné tout le panier. Mais l’épidémie s’est répandue, les hommes-mollusques sont maintenant devenus majoritaires. Des trois  pouvoirs qui devraient se contrebalancer, il n’en reste qu’un seul qui corrompt, dilapide, pille et mine les espoirs d’une jeunesse qui, pour la plupart, ne rêve que de s’envoler vers d’autres cieux où ils pensent  pouvoir s’affirmer, se réaliser et accomplir leur légende personnelle. Voici donc comment du rêve de démocratie, nous sommes passés sous la dictature de la misère et de « l’idiocratie ».

Oui, cette « idiocratie » rebelle à l’apprentissage  de l’histoire et qui n’ose évaluer la fragilité et l’illusion du pouvoir arrogant qui, toujours, promet fidélité, mais qui n’a jamais cessé de trahir même les plus grands tyrans. Que ceux dont la sagesse honore de sa parure se méfient du silence d’un peuple opprimé et bafoué. S’il est un désir inséparable de l’homme comme la lumière et la chaleur, c’est celui de vivre en toute dignité. Intelligenti pauca !

Dr Valéry Moise.


Bakara Vs Barbancourt, BICHA L’agneau Immolé.

Je comprends tout l’emballement autour de cette histoire. Le mobile de cette agitation n’est autre que la fraîcheur du conflit dominicano-haïtien.
Inconsciemment beaucoup d’entre nous prennent position pour Barbancourt en le substituant à Haïti qu’il faut à tout prix protéger du bourreau dominicain (Bakara). Je suis pro-chauvinisme et je suis pour toute action étatique pouvant faire comprendre aux dominicains ou à tout autre peuple que nous sommes une nation debout, digne et fière. Mais attention à ne pas laisser autrui nous manipuler en se cachant derrière un pseudo-patriotisme.

Détrompons-nous. Bicha n’est pas l’importateur du rhum Bakara. Il n’est que l’image publicitaire de la marque. Une frange de notre élite économique a choisi d’importer ce rhum et de nous le revendre. Comme tant d’autres produits d’ailleurs. A en juger par leurs actions, les importateurs de Bakara autant que les propriétaires de Barbancourt n’ont aucun sens du patriotisme. Ils font tous parti de ce même groupe d’individus qui préfèrent passer leurs fins de semaines à Miami ou de l’autre côté de la frontière alors qu’ils auraient les moyens d’investir et de créer des attractions dignes de ce nom sur le territoire national. Dépêcher un avion-ambulance depuis les Etats-Unis leur semble plus « classe » que de faire un don à un hôpital national, public ou privé, afin de standardiser ses services. Leurs enfants étudient dans toutes les universités de l’extérieur, même celles de la république dominicaine. Quant à nos universités, elles sont trop piteuses. Ils ne sauraient se rabaisser à un tel niveau. Voyons… Pourraient-ils les financer et les aider à s’améliorer? Bien sûr. Mais pourquoi le faire quand c’est si facile d’envoyer son enfant étudier à l’étranger?

A toute entreprise privée évoluant dans un quelconque pays, il incombe ce que l’on appelle les responsabilités sociales coopératives. J’ai 30 ans. J’ai toujours vécu dans le pays. Je n’ai jamais vu l’une de nos entreprises, y compris Barbancourt, assumer aucune de ces dites responsabilités. « Combien d’universités ont été sinon créées du moins financées? Sélection nationale? Salle de spectacle? Ecoles d’art? Avenue? Etc. » Attention il ne s’agit pas de sponsoriser un groupe musical à l’occasion du carnaval ou de patronner quelconque soirée mondaine. Il s’agit plutôt d’investir dans le développement DURABLE du pays duquel l’on se réclame. Qu’a fait le rhum Barbancourt pour que l’Haïtien moyen s’identifie à lui? Rien. Et j’insiste, en posant un des actes sus-cités, Barbancourt, l’une des entreprises au cœur de ce débat, n’aurait pas fait de faveur au pays, mais elle aurait plutôt assumé ses RESPONSABILITES SOCIALES.

D’un autre côté, on parle d’avilissement du vaudou. Primo, il s’agit d’un abus de langage. Le terme avilissement est carrément impropre au contexte. Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre artistique touche à UNE religion ou à la notion de LA religion en elle-même. Gardons-nous donc de tout fanatisme. Deuxio, permettez-moi cette question: «  Depuis quand le vaudou était-il si sacré à nos yeux? C’est un exercice national que de dénigrer le vaudou. Nous en faisons carrément un sport. En public nous crachons sans hésitation aucune sur tout ce qui touche de près ou de loin à cette religion. Ce que nous faisons en privé c’est autre chose. Devrions-nous nous comporter de la sorte? C’est un autre débat.
Je comprends la position de Max Beauvoir. Lui au moins a toujours assumé sa fonction de grand Ati national et peut se sentir offensé par l’atteinte faite à son ministère. Mais quant à nous-autres, je vous en prie… trêve d’hypocrisie.

De ce conflit, mon ami, le Dr Valéry Moise dont je respecte profondément le sens critique, a dit ces mots, et je partage: « Je m’abstiens en général des débats relatifs aux éventuelles responsabilités de la bourgeoisie haïtienne dans le mal du pays. Préférant me concentrer sur les solutions, j’évite souvent de tourner le fer de la plaie encore béante de nos frictions sociales. Mais là je suis outré par la prétention de la bourgeoisie d’utiliser masse et classe moyenne dans son conflit d’intérêt personnel qu’elle ose présenter comme national. Qui, en complicité avec l’état corrompu et irresponsable, nous a rendus si dépendant par rapport à la république dominicaine? Qui a détruit la cimenterie nationale? Combien se sont soulevés contre le fait qu’un hélicoptère ait semé une poudre qui ait engendré la destruction d’une large part de cocotiers et de bananeraies à l’Arcahaie? Parlons national! »

En résumé, il ne s’agit que d’un conflit entre deux groupes d’investisseurs. D’ailleurs, pour eux (propriétaires de Barbancourt ou importateurs de Bakara) le choix est clair. Tout ce qui vient de l’étranger est meilleur. Ils nous le prouvent depuis des siècles. A présent, comme on nous l’a souvent fait – depuis la guerre de l’indépendance ou au temps des élections- on nous met devant pour défendre les intérêts particuliers en agitant le voile du patriotisme. Mais réveillez-vous mes frères. Ne vous laissez plus berner. Comme a dit l’autre: « Choisissons nos propres luttes. Ce, en toute lucidité ». A bon entendeur…

~Dr. Paul Evens Grégoire CHARLES —


Frappés de la dixième plaie d’Egypte centuplée, ils ne savent à quel Saint se vouer !

Comme la terre, l’histoire semble, à jamais, adopter un parcours circulaire. Elle part et, insoucieuse du temps, revient. Malgré les immenses progrès technologiques de l’humanité, on n’a pas encore réussi à lui imprimer une autre trajectoire, un autre itinéraire. Elle transporte encore sa cohorte macabre de racisme avilissant, d’injustice, de haine, d’obscurantisme, d’égoïsme et d’avarice.

Quand Joseph avait été vendu  aux égyptiens comme esclave par ses frères, c’est parce que ses rêves étaient trop étoilés. Quand les premiers haïtiens, affaiblis et désorientés par la misère, ont commencé à passer de l’autre côté de la frontière, c’est parce que les dirigeants avaient rendu le territoire impropre aux rêves polychromes. Seul le gris sale était autorisé à certains ô combien trop nombreux ! Ils sont donc partis. Pour la zafra…

En partant pour la république dominicaine, ces haïtiens savaient, du moins pressentaient, qu’ils allaient travailler pour le sucre en menant une vie des plus amères. Mais qu’importe, ils ne vivaient déjà plus, ils ne tenaient à  l’existence que pour  tenter d’assurer un peu de bien à leurs femmes et enfants laissés avec douleur de l’autre côté de l’île, là où ils ont commencé à être des étrangers de l’intérieur. Et pourtant, ils comptaient revenir. C’était entendu, du moins avec leurs familles. Ce qu’ils ignoraient c’était que les conditions de travail là-bas, étaient l’inverse de ce qui était écrit dans les contrats rédigés pour la forme et n’autorisaient que les adieux. On ne le dit pas assez, mais personne – y compris des nègres dont l’instinct de survie était exacerbé –  ne pouvait résister à l’atrocité de 6 jours de corvée, sous un soleil de plomb, avec un horizon uniformément vert de canne, s’étendant sur des milliers d’hectares et avec pour toute nourriture un certain repas de misère qu’il n’était permis de prendre que les soirs. Ces soirs trop brefs pour le repos de ces corps vidés de leur âme et substance,  et à la fois trop longs en regard de l’extrême promiscuité posée en règle absolue. «  Bèf ki gen ke pa janbe dife ». La haine centenaire les avait rattrapés ! Ils devaient payer l’affront de Jean-Pierre BOYER, chef d’état haïtien, qui a eu la maladresse de diriger l’ile entière pendant près de 22 ans en laissant derrière lui que peu de réalisations et beaucoup de ruines, de rancœurs et d’inimitiés.

La question des conflits haïtiano-dominicains est complexe et remonte à longtemps. Aucun compromis n’y mettra un terme tant qu’on continue à l’envisager sous un angle passionnel, ponctuel  et rétréci par le choc des vanités. L’heure n’est ni au nationalisme outrancier ni à l’étroitesse d’esprit qui,  en se combinant, ont pu accoucher de la décision de la cour constitutionnelle de la république dominicaine à l’encontre des descendants haïtiens.  Plus on y pense, plus on la verra comme un signal avertissant du déclin moral d’une frange non négligeable de l’humanité. Cette décision n’est pas sauvage, elle est tout simplement barbare. Elle renseigne sur les atrocités inimaginables auxquelles l’impérialisme économique peut conduire. Quand on ne pense qu’à ses intérêts financiers, quand l’argent est le seul maitre auquel on se soumet avec toute la sollicitude dont on est capable, sans effort on se dépouille de ce qui différencie des animaux des jungles. A quiconque veut s’élever à un certain niveau de  clairvoyance, il apparaitra que cette décision est consécutive à la mesure prise par le gouvernement haïtien d’interdire – suite au menace de la grippe aviaire dont quelques cas ont été recensés là-bas  –  l’importation des produits  avicoles  de la république dominicaine. Alors en guise de représailles, ils ont décidé de rendre apatrides tous les descendants haïtiens nés après 1929. C’est la dixième plaie d’Egypte centuplée ! La mort civique de tous les premiers-nés haïtiens, en prélude de la grande déportation. Oh mésintelligence, quand tu nous tiens, adieu raison !

Je constate avec beaucoup de respect toutes les expressions d’indignation des instances internationales face à cette décision frisant la démence mais à mes appréciations, je donne un autre sens. Je ne me vois pas essayer de contraindre à quelque niveau que ce soit, la cour suprême de revenir sur sa décision. Peut-être qu’il est écrit quelque part, dans le grand livre secret des fous furieux, qu’un organisme étatique, peut se réserver le droit d’enlever la nationalité à autant de citoyens qu’il veut en fonction de leur descendance ethnique. Le point sur lequel je voudrais fixer mon attention est l’indélébilité de la marque de la race et de l’origine. On ne se soustrait pas indéfiniment à son passé, et à son origine fussent-ils les plus humbles ou les plus sous-estimés. Renoncer à  qui on est n’a jamais réussi  à promouvoir celui qu’on  voudrait paraitre. S’il faut une seule goutte de sang noir dans ses veines pour susciter une amplification du système de sécurité dans un quartier  voire un pays étranger, il en faut une demie pour le sang haïtien. Pour avoir été rebelle et défié l’ordre esclavagiste qui prévalait avant 1804, on est devenu depuis longtemps la brebis galeuse de laquelle il faut s’éloigner  à chaque fois que l’occasion se présente. Et Dieu seul sait combien nous en donnons ! Des promoteurs des idéaux de liberté, d’égalité, et de  fraternité entre les peuples, nous sommes descendus au gouffre honteux des parias, des mendiants, des irresponsables, des corrompus et cette  liste non élogieuse pourrait à elle seule terminer ce texte.

Les  dominicains tirent  toute leur vanité de leur hypothétique descendance espagnole et nous haïtiens de la gloire de notre passé héroïque.  En vérité, nous sommes tous deux ridicules, pathétiques  et pitoyables ! Qu’avons-nous fait entre temps ? C’est à cette question qu’il nous est, haïtien,  donné l’occasion de réfléchir. Le bonheur ou le malheur haïtien nous suivra partout comme notre ombre. Autant nous demander tout de suite  s’il faut encore une autre humiliation pour qu’on se résolve à se mettre ensemble, demeurer ensemble et construire ensemble un meilleur avenir.  Ce n’est pas à l’étranger qu’il nous faut imposer notre présence mais à nous-mêmes de découvrir notre essence. Quand nous aurons compris pourquoi nous sommes si éprouvés, si résilients, nous nous mettrons au travail comme un seul homme pour renforcer notre production nationale, embrasser notre culture, discuter et résoudre nos différents, bâtir des universités de standard international, investir  dans le pays, redresser notre dignité de peuple souverain et comme l’aurait voulu Christophe et Dessalines, nous présenter face au soleil. C’est alors que Grand nous respectera et Petit nous vénèrera.

Nos pères nous ont appris à ne compter que sur nous-mêmes. Montrons-leur que nous sommes des fils dignes de leur sacrifice. Rallumons le feu sacré qui couve sous la cendre de notre déchéance. Cessons d’être le ver dans le fruit. Rendons nous fidèles à notre mission d’avant-gardistes des valeurs humaines. Offrons l’autre joue à nos ennemis traditionnels et tournons-leur le dos.  La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, deviendra la principale de l’angle !

Dr Valéry Moise