Ces routes qui conduisent à la tombe
Dans une certaine mesure pourtant, ils font partie des chanceux. De ceux qui « travaillent », des rescapés du chômage. De ceux dont les photos retouchées ou les salaires réels amplifiés font dire qu’Haïti avance. Vers quelle destination ? Pour ceux-là, il s’agit de la tombe !
Des traits de jeunesse sont encore perceptibles sur leurs visages. Ceux qui s’en douteraient, seraient vite rassurés par la vigueur de leurs bras. Au sein de la même équipe, ils sont répartis suivant les tâches. Certains sont affectés au transport de l’eau, d’autres du sable, et la plupart au mélange du ciment. L’inhalation et l’ingestion de la poussière de ce ciment qui, au fil du temps, affectera leurs fonctions respiratoires et tenant ainsi hors de leurs poumons, le souffle de vie.
La sécurité, même dans son sens le plus général, est un terme ésotérique en Haïti. Il est réservé aux initiés du gouvernement, de leurs proches et des « experts » de la communauté internationale. Pas besoin de le rechercher dans les contrats et conditions de travail. Cela n’intéresse personne. Pas autant les employeurs que les employés. A quoi cela servirait-il d’ailleurs dans un pays où le chômage règne en maitre absolu et où la justice est la raison ou mieux le caprice du plus fort ?
Sans masques, sans bottes, sans casques, sans gants, le travail doit être fait. Le choix est simple. Mourir tout de suite de faim ou souffrir à long terme de maladies pulmonaires. Par une simple observation, on verra qu’aucun brave ne jette le dévolu sur la première option. Il y a une famille nombreuse à nourrir. Et ce qui manque aux femmes de ces ouvriers dont la vie subit chaque jour un attentat, ce n’est pas des mains de velours. Elles n’ont jamais connu ni les gâteries ni les caresses de la vie. Leur quotidien est fait d’ouragans qui les culbutent de problèmes en problèmes, pas de brises qui les caressent le visage. Elles sont habituées aux mains rocailleuses sur leurs peaux. Elles ne sont pas touchscreen !
Et pourtant cette peau-bouclier que la vie leur a imposée, cache et protège une mine de sensibilité et d’amour à l’égard de ces sacrifiés dont la vie ne risque pas d’être longue. Ces jeunes sur qui devaient reposer la « reconstruction » du pays. Ces futurs invalides que l’Etat créent et aux besoins desquels il sera à la fois insensible et impuissant. Cette main d’œuvre bon marché que l’Etat gaspille et sous-estime. Cette aubaine dont la disparition va handicaper le développement de la classe moyenne et du coup favoriser l’importation des travailleurs dominicains et philippins comme c’est déjà le cas.
Chaque vie a besoin d’être revalorisée en Haïti. Aucune n’en vaut une autre. On a déjà réussi à provoquer le dégoût des intellectuels conséquents, on est déjà parvenu à rendre le pays trop petit pour les grands idéaux, il est donc criminel de ne pas assister la classe ouvrière, de ne pas forcer le Ministère des Affaires Sociales et du Travail à s’acquitter de son boulot dans les meilleurs termes dont il doit être capable.
On a déjà saisi qu’Haïti est ouvert aux médiocres, aux corrompus, aux invertébrés et fermé aux soucis du travail bien fait, aux standards internationaux et à la sécurité du travail.
Mais ce qui continue à soulever l’interrogation c’est de savoir où vont cacher les colons quand le sang des esclaves modernes demandera des comptes. Quand la sueur des travailleurs trop peu rémunérés ressusciteront les rêves enfouis qu’on croyait à jamais enterrer. On ne brise pas impunément la branche sur laquelle on s’assoit quand on n’a pas des ailes. Que la raison enseigne aux incrédules ce que la force du désespoir s’impatiente de faire pénétrer violemment dans leurs microscopiques cerveaux !
Dr Valéry MOISE
Email : lyvera7@yahoo.fr
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