Cher policier, as-tu un fils lycéen ?
Il serait évidemment plus pertinent de demander au ministre de l’Education nationale si ses fils ou petits-fils reçoivent le « pain », ne le lisez pas en anglais, de l’instruction haïtienne. Pour peu que l’on se réfère aux habitudes, on sait qu’à cette question le ministre répondrait positivement si « les circonstances » ont permis que ses progénitures soient encore en Haïti. Pays à multiples facettes où pour être gentil le voleur sert un verre de lait pour chaque vache volée. Où la violence est condamnable et sévèrement réprimée seulement quand elle est exercée par les plus faibles.
Je n’ai pas besoin de savoir pourquoi des élèves sont dans les rues aux heures de classe, tout ce qui importe c’est qu’ils sont là en uniforme, sans arme, et qu’ils sont violemment chassés par des policiers. Ceux qui ont pour mission de protéger et de servir. Et si on n’appuie pas trop sur la liaison, ceux qu’on pourrait appeler les « forces des ordres ».
Il n’est nullement nécessaire de souligner que les ficelles autant des écoliers que la plupart des étudiants sont exercées, fort souvent, par des mains qui ne jurent que par fourrer leurs doigts dans l’œil de l’Etat. Mais le propre d’un individu manipulable est qu’il répond, avec à peu près la même inclination, aux sollicitations de nuisance et de construction durable. C’est à l’Etat de canaliser les énergies dégradées et indisciplinées de ses citoyens. Et un Etat force le respect et l’admiration quand il anticipe sur les causes de crise, y propose des solutions et évite de tomber dans les bassesses des réactions. On ne s’improvise pas chef d’Etat tout comme, en l’espace d’un cillement, on ne fabrique des forces de l’ordre. Si vous êtes fascinés par le bruit des tendres vertèbres sous vos bottes, si vous aimez les situations de panique déclenchée par les gaz « apnogènes[1] », si votre mission est de libérer votre stock de munitions toujours trop bien pourvu, si vous vous sentez monarque quand vous occupez seuls la voie publique, alors votre place n’est pas dans la police payée avec le sang et la sueur des dignes contribuables.
On sait que vous ne faites qu’exécuter des ordres venus de haut, mais l’évangile est connu de tous. A un principe injuste, personne n’est tenu d’obéir. Encore moins des individus doués de raison et de liberté. Il est toujours bon de garder en mémoire ce sage avertissement d’Eliphas Lévi stipulant : « Quand le pouvoir, semblable au rocher de Sisyphe, échappe aux bras qui veulent le pousser trop haut, il retombe et roule de nouveau au bas de la montagne ; c’est ce qu’on appelle une révolution. »
Ce n’est pas ce dont le pays a besoin pour le moment. Si nos rivières sont asséchées, nos cimetières regorgent de sang imprudent qui nous invite à la tolérance et à la résolution pacifique de nos conflits, si nos salles de classe sont vidées, nos prisons explosent d’individus à qui la dernière parcelle d’humanité a été enlevée. Haïti est un filet dont les mailles ont la détestable habitude de retenir les petits poissons et de laisser passer les gros.
Chers policiers, souvenez-vous d’où vous venez. Rappelez-vous ce que vous êtes venus chercher. Combien d’entre vous n’ont pas un fils, un petit cousin, un neveu, un frère au lycée ? S’ils manquent de jugement dans leurs comportements, c’est qu’ils ont manqué de professeurs dans leurs établissements, s’ils courent par tous les vents, c’est qu’ils n’ont pas suffisamment de bancs, s’ils vous empêchent d’avoir la paix, c’est que leurs directions ne disposent pas de suffisamment de craies.
D’audace et de pouvoirs qu’un méchant soit armé
Quand l’heure sonne, il faut qu’il épie et qu’il mesure
Et la raison de l’opprimé
Devient tôt ou tard la meilleure. (Le loup pris au piège, Eliphas Levi)
Dr Valéry MOISE
[1] Entendu comme substance ayant la propriété de provoquer des apnées (Arrêt de la respiration).
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