Ce que les mots taisent, les actes le disent !
Ils étaient deux. La misère a certes imprimé ses traits sur leurs visages mais n’a pas complètement réussi à leur faire passer pour des vieillards précoces. Ils avaient apparemment entre 12 à 14 ans d’âge. La lumière qui devait briller dans leurs yeux, se trouvait amoindrie et placée un peu plus bas entre des lèvres qui maintenaient une cigarette. Ils fumaient. Ce fut un dimanche près du marché se trouvant à l’entrée de Delmas 75.
Passant par là, je ne pouvais m’empêcher de m’arrêter, les regarder, incapable d’articuler un mot, puis je suis reparti. Plus seul, mais avec cette image qui habite désormais ma mémoire. Savaient-il que la couleur de la cendre prédisait celle de leur poumon dans un avenir proche ? Comprenaient-ils que leurs rêves s’envolaient à la cadence des fumées qu’ils exhalent ? Ils brûlaient leurs vies et moi je fumais de colère à l’idée qu’ils sont l’avenir du pays.
Nous sommes un pays singulier. Nulle part ailleurs, il ne serait permis à des gamins de pouvoir non seulement acheter mais encore consommer, avec une quiétude qui déroute la raison, des produits nocifs qui nuisent gravement à leur santé. Ont-ils des parents ? Probablement pas, peut-être des géniteurs encore vivants qui croissent et multiplient la terre de façon accidentelle. La famille semble être une espèce en voie de disparition. Comparable à l’atome duquel on soustrait un ou plusieurs électrons, elle devient instable comme un ion et s’unit à n’importe qui, n’importe quoi. L’autorité parentale s’effrite avec la faiblesse du pouvoir économique. Le capitalisme a pris l’église d’assauts, on y fait plus de quêtes que de prières, plus de médisances que d’exhortations et la chair dispose de la force de l’esprit comme un cheval maîtrisant son cavalier. L’Etat qui devrait être le dernier rempart, souffre d’une anémie sévère de modèles. Ces actes abominables parlent plus forts que ces mots moralisateurs. A la balance de l’exemple, il s’est révélé trop léger, et la société la vomit avec tout le dégoût dont elle est capable.
Ses problèmes sont complexes. La trop grande fertilité de nos familles semble battre en brèche sa capacité à émettre des actes de naissance. La population se trouve donc divisée en deux catégories : Enregistrée et non enregistrée. Énormément d’enfants sont nés en marge de l’administration de l’Etat et ils y demeurent jusqu’à l’atteinte de la majorité électorale. D’ici-là, ils sont partout sauf à la place qui convient à des enfants dont on reconnait les Droits à la santé, à l’éducation, au bien-être social voire à la vie tout court. Quand ils ne sont pas dans la rue pour initier leurs âmes à l’injustice sociale, ils sont pour la plupart dans ces banques d’organes déguisées en fondation. Quand ils ne sont pas dans ces « écoles » qui comptent plus de cuisiniers que d’enseignants, ils sont à la merci des prédateurs sexuels qui leur font confondre vessie et lanterne. Puis viendra le temps où les têtes qui n’ont jamais pensé leur reprocheront et même les condamneront d’avoir laissé germer les graines qui ont été semées. Aucun compte ne sera tenu de la violence structurelle et institutionnelle dans laquelle ils ont grandi et évolué.
Moi, quand je regarde un enfant des rues briser une vitre, je vois une promesse électorale non tenue, quand je regarde un enfant sans idéal, je vois un gouvernement sans vision, quand je regarde un enfant manquer de respect à une loi établie, je vois de policiers et officiels circuler en sens inverse, quand je regarde un enfant essuyer une voiture aux heures de classe, je vois une société touchant le fond de l’abîme. Rendez-moi fou ou sage, je verrai toujours à travers les enfants l’image des adultes.
On reconnait, évidemment, qu’ici il n’est question que de ceux qui vivent dans des conditions d’extrême vulnérabilité, ceux dont le poids du corps ne dépasse pas la capacité des ailes. Ceux à qui le manque d’éducation et l’absence de politique éclairée ravissent le rêve de partager le rang des Einstein, Eddison, et le plus fameux de tous : Mandela.
Ceux qu’on tenterait d’appeler les fumiers par rapport à leurs actes répréhensibles. Pourtant, faut-il bien avoir le courage d’admettre que ces fumiers sont créés par des déchets adultes et qu’il est encore possible d’y faire pousser les meilleures roses de l’Ayiti-Quisqueya qui doit revenir.
Dr Valéry Moise
lyvera7@yahoo.fr
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