Désolée ma fille, tu ne pourras plus être un Albert Einstein !
Entre ton absence de sourire et la précarité de ton avenir, je ne sais pas ce qui m’inquiète le plus. Toi, qui devais être une promesse de richesse et de bonheur. Tu n’as que cinq ans et déjà tu parais à peine moins vieille que moi. Tu ne joues pas, tu ne pleures pas et tu ne manges pas. Ton indifférence dure trop longtemps pour être un masque, un faux-semblant.
J’ai entendu dire que vous les enfants, vous êtes extrêmement perceptifs. Vous servez de miroir aux émotions et faites écho des pensées des adultes. Dans un premier temps, je n’y ai pas ajouté foi et dans le second, j’ai voulu m’éloigner de toi. Que de corps. Pour te confier à une famille capable de prendre soin de toi, de t’instruire et de t’éduquer. N’en sois pas dégoûtée ni désespérée. Mon amour pour toi a déjà franchi toutes les frontières et n’a pas perdu une seule étincelle de son intense chaleur.
Ma fille, quand tu arrivas je ne l’ai pas su. Je n’avais pas les informations nécessaires qui m’auraient permis de planifier ta naissance. Mais une fois dans mon sein, je t’ai acceptée et tu as su me donner cet élan que je n’avais pas, cet espoir que je n’oserais pas nourrir pour moi-même, ce sens qui manquait à mes luttes quotidiennes. J’étais à la fois trop émue et trop fière pour m’arrêter sur ces quelques gênes physiques et ces modifications physiologiques engendrées par notre cohabitation. Cette cuvette pleine de marchandises que je m’interdisais de te transmettre comme héritage, je la portais alors avec fierté sachant qu’elle promenait désormais ton rêve mêlé au mien. Mais le malheur semble nous avoir prises d’assaut et nous ne pouvons que saluer de loin ce bonheur vers lequel nous tendions.
J’ai porté la cuvette, mais c’est tes cheveux qui ont perdu leur noirceur et se sont fragilisés, j’ai retenu mes larmes, mais tes yeux se sont asséchés. J’ai exposé ma peau à la chaleur et au froid, mais c’est la tienne qui est cartonnée. J’ai brûlé mes calories, mais c’est ton stock qui est épuisé. J’ai aiguisé ma vision et la tienne s’est affaiblie. Mes remords sont inversement proportionnels à ton poids. Je suis désolée ma fille, tu souffres de malnutrition. Tu ne pourras plus être un Albert Einstein.
Je ne savais pas que ce sort pourrait être conjuré par l’administration de vitamine A et de quelques suppléments iodés. Tu as manqué la cuillère salvatrice. J’ai vendu mon poisson pour t’acheter des cuisses de poulet venues d’ailleurs. J’ai vendu mon lait de vache pour t’acheter les jus dont les valeurs nutritives sont incessamment vantées dans les publicités radiophoniques.
Pardonne-moi ma fille ! Ta mère a péché par ignorance et par omission. J’ai omis que le ministère de la Santé publique et de la Population MSPP avait le bras court, que le ministère des Affaires sociales ne gère que les miettes que veulent bien lui laisser ces programmes sociaux cosmétiques, suicidaires et avilissants qui ont le seul don de dépouiller le citoyen mineur du peu de dignité qui lui restait. Pardonne-moi ma fille, j’ai péché. J’ai omis qu’ici ; chacun pour soi, Dieu pour les fidèles.
Dr Valéry Moise.
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