Peuples, marchez-vous selon la foi ou selon la vue ?
« Mache non pitit mwen [1]», lança tendrement la mère à son fils qui s’impatiente de devoir encore marcher. « Ah se jènjan w genyen, l’ap mache [2]» rétorquai-je à la mère. « Li di l’ grangou, men m’ konnen Bondje pap kite jounen an pase san l’ pa manje [3]», face à la conviction de la mère, aucune réaction, du moins visible, ne vint de ma part. Les interrogations étaient trop nombreuses pour pouvoir être sorties d’une seule bouche.
C’aurait dû être un jour consacré au repos et à la prière. Il n’était pas encore 8 heures du matin, je me dirigeais vers l’hôpital où je devais assurer quelques heures de travail, je n’ai pas su où se rendaient la dame et son fils, tout ce qui ne m’échappe pas, c’était qu’ils marchaient selon la foi. La vue devait-être trouble. Et certaines phrases ont le don de coloniser la pensée dans certaines situations. « À l’homme qui marche, il n’appartient pas sa voie » me semble avoir été la favorite de la dame ce matin-là.
Je ne voulais pas m’arrêter sur le sentiment qui anime une mère qui se voit incapable de donner à manger à son enfant. Je sais déjà que la douleur de l’enfantement est de loin préférable à celle-là. Quand on est préoccupé à donner la vie, les récepteurs de l’absinthe semble moins bien fonctionner, mais comment se soustraire aux atrocités de la culpabilité quand l’assiette qui maintient la vie est rarement chez soi ? Ceci ne fut pas l’objet de mes réflexions. Je me demandais de préférence jusqu’où Dieu ou Satan pouvait-il être impliqué dans les affaires humaines. À quelle proportion étaient-ils coauteurs ou spectateurs du bonheur ou du malheur des hommes.
Il faut évidemment de la profondeur pour pouvoir s’élever à certaines hauteurs. Celles où la science pas plus que la religion ne règne en maîtresse absolue. Celles où l’on comprend que l’on ne s’appuie que sur ce qui résiste, celles où l’on réalise que la stabilité est indispensable au mouvement, celles où l’on met bout à bout ce qu’en général on place face à face. Dans certaines sociétés, Dieu est à la Genèse et à l’Apocalypse de tout, dans d’autres la causalité lui ravit cette faveur. Mais force est de constater que la main de Dieu est partout dans les sociétés où la responsabilité humaine n’est nulle part.
Mon ami Pascal Adrien m’a dit un jour que la misère n’est pas un accident. Il m’a laissé entendre qu’il est programmé par l’inaccessibilité des masses à une éducation de qualité, la rareté des soins de santé, par le chômage pour être bref. Je dois avouer que ces arguments ne m’ont pas laissé de glace. Ils se sont révélés vrais dans certains cas de figure. Après m’être penché sur la responsabilité des victimes dans leur sort, et extrapolé un peu, il m’a paru que le Créateur intervient très peu dans les affaires humaines et laisse presque toujours le sens du premier pas à la discrétion du voyageur. Et ce n’est pas la chronologie des miracles de Jésus et des prophètes qui l’ont précédé qui en disconviendra. Moise avait un bâton, les serviteurs à la noce de Cana avaient déjà de l’eau disponible pour remplir les outres quand le vin venait à manquer, les disciples avaient déjà des pains et des poissons avant la multiplication et les exemples sont légions.
Quel est le rapport de toutes ces considérations et la faim d’un garçonnet à qui l’on demande de marcher, se demande probablement le lecteur impatient et exigeant ? Qu’il me soit permis de rappeler, une fois de plus, que la conception d’un enfant est soumise à un certain nombre de principes. L’enfant est source de richesse et de satisfaction seulement quand sa nutrition, son éducation et son support affectif sont garantis. Aussi, voudrais-je écarter la conclusion rapide et facile de croire que je suis en train d’enlever aux pauvres leurs droits de procréation. Je veux seulement qu’ils soient conscients du cercle qui les maintient dans la pauvreté. Je ne suis pas non plus en train de dédouaner l’industrie qui fabrique la misère du prolétaire dans le but de mieux l’asservir, qui le maintient par les tripes au bas de l’échelle sociale, qui tue son individualité et sa créativité dans les travaux en chaine, qui le garde dans l’ignorance pour qu’il ne pose pas de questions dérangeantes pour l’oligarchie, qui le bombarde de superflus pour qu’il perde de vue l’essentiel.
Peuples, si je vous demande pourquoi avez-vous faim, les gouvernants me répondront parce que vous ne travaillez pas, mais si je vous demande pourquoi vous ne travaillez pas, on me traitera de communiste. Que votre foi vous sauve !
Dr Valéry MOISE
Email : lyvera7@yahoo.fr
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