Que dira-t-on de nous ?
Cette question est prétentieuse, je le reconnais. Elle présuppose, qu’en dépit de la marche inexorable des autres peuples vers le progrès, qu’en dépit de la valeur sans cesse grandissante du temps, il y en aura qui s’offriront le luxe d’émettre une opinion à notre sujet. Elle s’accorde pour acquis que nous serons épargnés du sort qui sied aux insignifiants : L’indifférence. Elle s’autorise le droit de rêver à un jugement de la postérité, fut-il un regard condescendant ou un sentiment de pitié. Seulement, au rythme où nous nous désengageons, que dis-je, déshumanisons, je crains que la nature ne se fasse justice en nous ensevelissant sous l’oubli le plus honteux.
Je devrais peut-être m’arrêter sur les principales causes de notre déchéance. Je m’octroierais probablement un air sérieux en accusant la colonisation, le blocus international subséquent à notre indépendance, l’escamotage de notre économie par la France, nos luttes fratricides commanditées par les religions, la destruction de notre environnement à la fois physique et politique par les Etats-Unis etc. Mais en prenant cette posture de victime, en accordant tant de place et tant de poids au passé, je n’offrirais que l’occasion pour qu’on me remonte les bretelles ! Car, avec raison, on aurait le droit de rejeter la question initiale et de la reformuler de la manière suivante : Que dirons-nous de nous ?
Tôt ou tard, il nous faudra rendre des comptes. À notre conscience ou à notre postérité. C’est au mépris de la raison que nous pensons pouvoir nous échapper à notre responsabilité. Vivre en communauté, par choix ou obligation, implique l’engagement. On ne transfère pas ses redevances en élisant un gouvernement. On ne s’absout pas du jugement en prétendant ne pas disposer des leviers étatiques. Dans un pays, comme dans un océan, il n’y a pas de gouttes d’actions insignifiantes. La graine contient la forêt ! Le citoyen contient la Patrie !
Qu’il me soit donc permis, chers concitoyens, de nous renouveler la question : Que dirons-nous de nous ? Avons-nous été indignés des scandales de dilapidation des fonds publics ou attendions-nous patiemment que notre tour se présente pour renouveler le système ? Pour continuer à priver le miséreux de l’essentiel tout en nous gâtant de superflu ? Avons-nous courbé l’échine, pactisé avec le néo-colonisateur pour ramasser quelques miettes ou étions-nous dignes des sacrifices de nos ancêtres ? Un jour ou l’autre, nous devrons justifier nos choix. Nous devrons expliquer pourquoi nous nous étions tus. Pourquoi nous avons abandonné.
Au constat de l’échec national, de la victoire des corrompus et des médiocres, nous avons légitimement le privilège de capituler et de tourner le dos au pays. Mais s’il peut nous arriver de perdre, une fois là-bas, nos titres de médecin, d’ingénieur, d’avocats, d’agronome et j’en passe, nous ne pourrons jamais, je dis bien, jamais, nous débarrasser de notre origine haïtienne. Notre identité est la seule constante dans ce monde imprévisible et sans cesse changeante.
Chers concitoyens, l’heure est grave, le temps est sombre et l’espoir est chétif. Il semblerait qu’il n’y ait plus d’horizon, que nous avons touché le fond. La bonne nouvelle cependant, c’est que les extrêmes se touchent ! Le Concepteur de la vie a voulu, et c’est une loi infaillible, que l’alternance soit une règle absolue. La médiocrité vient de faire son temps sans partage. Gens de bien, armons-nous de l’audace et de l’assurance des médiocres, et nous aussi, faisons notre temps. Comme les héros des Thermopyles, comme les géants de Vertières, on dira de nous que nous étions des Hommes-Debout et face au plus grand désespoir, nous avons opposé la plus grande espérance ! Qu’il en soit ainsi !
Dr Valéry MOISE
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